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Se montrer à la hauteur du cas : les soins à l’ère de la technologie

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2020/01/06/rising-to-the-case-caring-in-the-age-of-technology
janv. 06, 2020, Par: Julia Imanoff
a nurse looking at medical records and monitors
istockphoto.com/andresr

Messages à retenir

  • Quand les infirmières et infirmiers ne prennent pas les choses en main, la technologie peut nuire à leur relation avec les patients.
  • Le personnel infirmier doit réinterpréter la technologie et la voir comme un outil – et non une solution – pour améliorer les soins.
  • Avec la technologie comme outil, les infirmières et infirmiers jouent un rôle clé dans l’amélioration des résultats pour les patients grâce à leur interprétation des données et à l’application de leurs connaissances expérientielles.

La technologie progresse de façon exponentielle et s’intègre de plus en plus à la recherche et à la pratique infirmières. Cette intégration bouleverse les soins infirmiers, au point où elle interfère avec les relations entre le personnel infirmier et les patients. Nous devons repenser cette relation à l’ère de la technologie et voir comment les infirmières et infirmiers peuvent réinterpréter la technologie pour mieux assurer les soins aux patients et favoriser les contacts humains.

À l’aide d’un exemple clinique, me montrerai que la technologie peut nuire à la relation entre le personnel infirmier et les patients et mener à des soins médiocres. À partir de cet exemple, je montrerai pourquoi les infirmières et infirmiers doivent être au centre des soins aux patients en se faisant des interprètes de la technologie, en utilisant cette dernière comme un outil pour améliorer les soins personnalisés et favoriser de meilleures relations avec les patients.

Se soucier du bien-être des autres est souvent considéré comme un engagement moral. J’ajouterai que, dans son essence même, ce souci, central aux soins infirmiers, constitue une base pour les contacts humains. Quand la technologie est intégrée aux soins infirmiers, nous devons penser aux façons dont elle peut amoindrir ces contacts humains. Nous partons du principe qu’elle sert principalement à améliorer les soins, mais ce n’est pas toujours le cas. Je propose que nous révisions notre façon de penser et protégions les soins aux patients en revisitant notre utilisation de la technologie pour améliorer les contacts humains.

Le problème de la technologie

La manière dont le personnel infirmier soigne les patients a changé. Nous nous appuyons maintenant beaucoup sur la technologie. L’évaluation des signes vitaux est un exemple fondamental de l’automatisation des soins et, ce qui est plus inquiétant, de la diminution du contact physique que le personnel infirmier a avec les patients.

Professeure de sciences infirmières dans un programme de premier cycle, j’ai eu le privilège d’enseigner l’évaluation des signes vitaux aux étudiants. Ils s’interrogent souvent – à juste titre – sur la nécessité d’apprendre comment mesurer manuellement la pression artérielle d’un patient. Ils insistent sur le fait que des appareils automatisés sont largement disponibles et presque toujours utilisés en contexte clinique. Même si ces étudiants n’ont pas tort, je ne peux pas m’empêcher de me demander si leur argument ne repose pas sur le mythe que technologie et efficacité – voire qualité – des soins vont de pair.

Pour les faire réfléchir, je fais remarquer aux étudiants qu’il y a des cas cliniques où évaluation automatisée ne veut pas dire meilleurs soins. Me fondant sur mon expérience en obstétrique à haut risque, j’insiste sur l’importance de pouvoir prendre une mesure exacte de la pression artérielle à la main dans des situations d’instabilité hémodynamique, comme les hémorragies post-partum graves. Lorsqu’une patiente perd beaucoup de sang, sa pression artérielle peut être si basse que l’appareil ne peut pas la mesurer avec exactitude, ce qui peut retarder des interventions nécessaires.

Je ne veux pas dire que nous devrions seulement faire des évaluations manuelles. Il y a des avantages clairs et évidents à intégrer la technologie dans les soins : la rapidité et l’efficacité, pour n’en citer que deux. L’option de programmer des évaluations des signes vitaux toutes les 15 ou 30 minutes peut libérer du temps au personnel infirmier pour assurer d’autres soins au patient. Ce que je veux souligner, c’est que nous devons être attentifs et prudents quant aux implications de l’intégration de la technologie dans la pratique et nous demander constamment si, dans chaque situation, cette intégration contribue ou nuit aux soins aux patients et, du même coup, à la relation entre le personnel infirmier et les patients.

Repenser les soins infirmiers

Les soins infirmiers sont, et doivent être, une pratique interprétative. Il y a un élément humain, expérientiel, dans la façon dont les infirmières et infirmiers font les évaluations et assurent ensuite les soins. Ils interprètent dans l’instant même chaque information qu’ils collectent. C’est ce que fait le personnel infirmier, le plus souvent très bien. Il décide rapidement quelle information est pertinente compte tenu de la situation clinique et quels soins doivent être donnés, en plus de ce qui doit être documenté et communiqué à un autre fournisseur de soins. Ces décisions sont souvent prises si vite et si naturellement que l’infirmière ou l’infirmier qui les prend ne se rend peut-être même pas compte de la dimension interprétative de son action.

Nous devons être conscients qu’avec l’intégration de la technologie, nous risquons de nous éloigner de l’acte de soigner. Comme dans le cas de la patiente instable sur le plan hémodynamique, le personnel infirmier doit pouvoir faire des évaluations exactes, plus exactes parfois que celles issues de la technologie.

Il est en outre nécessaire que les infirmières et infirmiers soient attentifs à l’expérience de chacun de leurs patients. Ainsi, ils pourront rapidement repérer une mesure suspecte de la pression artérielle donnée par un instrument, au vu des signes et symptômes du patient, et procéder à d’autres évaluations, dont la mesure manuelle de sa pression, pour déterminer s’il perd du sang. Des évaluations et interprétations rapides comme celles-ci peuvent mener à des interventions plus promptes.

La notion d’une évaluation et d’une interprétation plus exactes est liée à celle de soins individualisés, présente dans la théorie et la pratique infirmières depuis les années 1960. Cependant, le terme « soins individualisés » est devenu de nos jours une simple expression à la mode. Le sens de cette expression surutilisée peut même varier selon le contexte. Dans le cas de notre patiente instable sur le plan hémodynamique, le personnel infirmier pourrait mettre en pratique ce qu’il a appris, en particulier en ce qui concerne les limites de la technologie et l’importance d’être attentif à l’expérience du patient. Cette façon d’aborder les choses crée une occasion de facilement reconnaître ou interpréter les signes et les symptômes d’hémorragie (pas seulement la pression artérielle mesurée) et de fournir des soins adaptés ou individualisés, dans ce cas et dans ceux à venir. En ce sens, le personnel infirmier appliquerait les enseignements de ce cas à des situations universelles.

Repenser la technologie à travers les soins individualisés

Le processus d’application de ce qui a été appris dans un cas individuel à des cas universels est l’expertise ou le savoir expérientiel acquis grâce à la pratique. Il est fondamentalement basé sur des cas, des observations et des connaissances tirés des soins. Ce savoir est cultivé, développé et ressenti, et il va bien au-delà du simple fait d’acquérir ou d’accumuler de l’expérience. C’est le développement de la personne dans toute sa compétence professionnelle.

L’acquisition de l’expertise ne finit jamais, contrairement à ce qu’ont pu laisser croire les parcours de formation traditionnels. L’apprentissage se poursuit, de même que la mise en pratique des nouvelles connaissances, qui contribuent à une plus grande compétence; le personnel infirmier devient plus capable de bien interpréter des situations cliniques et de prendre les mesures nécessaires. Cette idée de savoir expérientiel est fondamentale pour ce que j’appelle « se montrer à la hauteur du cas ».

J’ai adopté cette expression du philosophe John Caputo. Selon lui, nous ne devrions pas accorder une plus grande importance à l’universel qu’aux expériences individuelles. Les infirmières et infirmiers comprennent facilement qu’une série de cas individuels ont pu éclairer les politiques (l’universel) qui orientent nos soins. La valeur de chaque cas individuel peut donc grandement influencer les soins.

L’argument de M. Caputo est que nous devons garder à l’esprit cette appréciation du savoir expérientiel en soins infirmiers et considérer ce savoir comme aussi important que les politiques. J’irai plus loin : j’appliquerais cette idée à l’intégration de la technologie dans les soins infirmiers. Je vous soumets que ces derniers sont au mieux quand ils incluent une interaction authentique entre le personnel infirmier et les patients, interaction où les infirmières et infirmiers peuvent intégrer la technologie, interpréter les résultats et, simultanément, s’appuyer sur leur savoir expérientiel pour interpréter la situation dans chaque cas particulier.

Conclusion

Le savoir expérientiel en soins infirmiers est précieux. Il place le patient au centre des soins et permet au personnel infirmier d’utiliser la technologie pour interpréter les évaluations et assurer des soins individualisés de grande qualité. Les soins infirmiers sont et doivent être une pratique interprétative. Étant donné l’intégration croissante de la technologie dans le travail clinique, les infirmières et infirmiers doivent voir la technologie comme potentiellement problématique, car elle les détourne de leur relation avec les patients. Mais lorsqu’ils utilisent cette technologie comme un outil leur permettant d’assurer des soins plus individualisés, ils appliquent leur savoir expérientiel et fournissent de meilleurs soins.

Nous devons nous assurer que la technologie ne détourne pas le personnel infirmier des patients. Elle n’est qu’un outil pour nous aider à mieux connaître les patients, à leur fournir les meilleurs soins individualisés possible et à nourrir notre relation avec eux. En tant qu’interprètes, les infirmières et infirmiers montrent vraiment la place centrale qu’ils occupent dans la gestion de l’impact que peut avoir la technologie sur les soins aux patients et les contacts humains.

Sources d’information additionnelles

Sondage sur l’utilisation des technologies de santé numériques

Tech Tools: Select the Right Stuff!

The Right Balance –Technology and Patient Care


Julia Imanoff, M. Sc. inf., inf. aut., ICP(C), est infirmière spécialisée en périnatalité et enseigne à l’Université de Calgary depuis six ans. Elle a récemment commencé des études de doctorat, et en tirant profit d’un esprit d’entreprise, elle travaille à l’élaboration de solutions novatrices pour soutenir les familles qui viennent d’avoir un enfant ou en attendent un.

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