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Prévenir les plaies de pression, alors que les temps d’attente dans les services d’urgence augmentent

  

Quatre stratégies qui peuvent aider le personnel infirmier dans les hôpitaux, malgré la charge de travail accrue

Par Peyton Root
24 avril 2023
istockphoto.com/Sam Edwards
Les plaies de pression ont un effet important sur les patients ainsi que sur l’ensemble du système de soins de santé. C’est pourquoi nous devons donner la priorité à la promotion de la santé et à la prévention afin de contribuer à réduire la charge de travail au service d’urgence.

La prévention des ulcères de pression est souvent la dernière priorité d’un service d’urgence, là où les patients intègrent pour la première fois le système de soins de santé aigu. Bien que l’intégrité de la peau soit au bas de la liste de priorité lorsque l’on envisage les états potentiellement mortels, c’est une question qui a pris de l’importance avec l’augmentation du temps passé dans les services d’urgence de tout le pays. Nous devons nous attaquer rapidement au risque de rupture cutanée dans les services d’urgence pour atténuer les conséquences à court et à long terme des plaies de pression (Han et coll., 2020).

Temps d’attente

Si on examine l’Ontario, le temps moyen que les patients admis ont attendu à l’urgence est passé de 13,8 heures en 2015-2016 à 16,2 heures en 2018-2019 (Qualité des services de santé Ontario, 2022). En 2014-2015, la durée du séjour médiane au service d’urgence des patients à haute gravité non admis à l’hôpital était de 3,5 heures (Qualité des services de santé Ontario, 2022). Des données récentes indiquent qu’en juillet 2022, les patients présentant un cas très urgent non admis à l’hôpital ont passé en moyenne 4,7 heures au service d’urgence et que les patients admis ont attendu en moyenne 20,7 heures (Qualité des services de santé Ontario, 2022).

Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu provincial, mais aussi d’un problème national. L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) indique que, dans l’ensemble du Canada, la durée du séjour au service d’urgence des patients admis à l’hôpital en 2016-2017 a augmenté de 11 % par rapport à l’année précédente et de près de 17 % par rapport aux cinq années précédentes (ICIS, 2022). Pour neuf patients sur 10 admis au Canada, la durée du séjour au service d’urgence en 2021-2022 était de 40,7 heures, contre 33,5 heures en 2020-2021 (ICIS, 2022). Ces statistiques représentent des patients qui attendent sur des chaises et des civières, soit des surfaces prévues pour une utilisation à court terme, pendant des périodes de plus en plus longues. Ce sont des données lourdes de conséquences, les recherches indiquant que le fait de rester au service d’urgence pendant plus de 12 heures est un facteur de risque indépendant de plaies de pression dans la semaine suivant l’admission (Han et coll., 2020).

Contexte

Les patients âgés aux prises de problèmes de mobilité et de comorbidités multiples arrivent souvent à l’urgence en ambulance. Malgré un risque accru de développer des plaies de pression, ces patients attendent fréquemment des espaces de soins pendant de longues périodes sur des brancards d’ambulance, qui sont relativement rigides et étroits (Fullbrook, Miles et Coyer, 2019). La pression d’interface (c’est-à-dire la pression exercée par le système de compression sur la surface de la peau) est considérablement accrue sur les brancards d’ambulance, notamment lors des freinages et des virages, qui sont susceptibles de provoquer une occlusion capillaire et une distorsion des tissus (Parnham, 1999). Une étude menée dans deux hôpitaux australiens a révélé que les interventions visant à soulager la pression étaient rares pendant le transport en ambulance et la première heure au service d’urgence, même chez les patients présentant un risque élevé (Fullbrook et coll., 2019).

Les civières des services d’urgence sont généralement plus étroites, car elles sont destinées à des séjours courts et à des transferts rapides de patients. En revanche, les lits d’hôpitaux sont plus épais et plus larges, destinés au confort des patients et à des séjours plus longs (Modsel, 2022). Lorsque le temps d’attente et le volume de patients s’amplifient, le temps que les patients passent sur les brancards d’ambulance et les civières des services d’urgence augmente, entraînant un risque de développement de plaie de pression. Des plaies de pression irréversibles peuvent se développer en aussi peu de temps que deux heures d’immobilité ou de soins sur le mauvais type de matelas (Kirman, 2022). Par ailleurs, les patients sont souvent laissés dans des collets cervicaux et sur des planches dorsales pendant des périodes prolongées alors qu’ils attendent des espaces de soins, ce qui accentue encore le risque de rupture cutanée. Chez les adultes en bonne santé, le fait de rester allongé sur une planche dorsale rigide pendant seulement 30 minutes peut entraîner une hypoxie tissulaire du sacrum (Berg et coll., 2010).

Les plaies de pression ont un effet important sur les patients ainsi que sur l’ensemble du système de soins de santé. C’est pourquoi nous devons donner la priorité à la promotion de la santé et à la prévention afin de contribuer à réduire la charge de travail au service d’urgence. Une étude menée à Séoul, en Corée, a démontré que le développement de plaies de pression entraîne davantage de risque de mortalité à l’hôpital, de réadmission, de visites à l’urgence après la sortie de l’hôpital, d’hospitalisation prolongée, de séjour prolongé en unité de soins intensifs et d’augmentation des coûts des soins de santé (Han, Jin, Jin, Lee et Lee, 2019).

Quatre stratégies pouvant aider le personnel infirmier à réduire et à prévenir les plaies de pression

La mise en oeuvre d’un changement d’attitude, d’une évaluation, d’une prévention et d’une mobilisation peut réduire efficacement les plaies de pression au sein des services d’urgence lorsque les temps d’attente s’allongent (Santamaria, Creehan, Fletcher, Alves et Gefen, 2019).

Changement d’attitude

Une étude réalisée dans un service d’urgence du Royaume-Uni décrit comment le personnel infirmier ne percevait pas le soin des ulcères de pression comme étant important et estimait qu’il ne faisait pas partie de leur rôle (Faulkner, Dowse, Pope et Kingdon-Wells, 2015). Cette attitude a entraîné un retard dans la prévention précoce des plaies de pression, car elles étaient laissées à la charge du service d’admission (Faulkner et coll., 2015). Pour promouvoir efficacement le changement, l’équipe interprofessionnelle des urgences doit changer d’attitude et réaliser que la prise en charge des plaies de pression doit commencer dès l’arrivée des patients à l’urgence et se poursuivre jusqu’au transfert ou au congé de l’hôpital. Pour susciter ce changement d’attitude, il est impératif que le personnel infirmier de l’urgence suive une formation approfondie sur l’importance des plaies de pression et les effets à long terme de la rupture cutanée. Bien que nous devions d’abord nous occuper des affections potentiellement mortelles, les plaies de pression sont liées à une augmentation de la durée du séjour à l’hôpital, qui est en corrélation à de piètres résultats et à un risque accru d’accident vasculaire cérébral et de septicémie (Bauer, Rock, Nazzal, Jones et Weikai, 2016). Tous les membres de l’équipe interprofessionnelle sont responsables de la prévention de la rupture cutanée pour promouvoir l’intégrité de la peau à court et à long terme.

Évaluation

Les directives cliniques exemplaires prescrivent de mener une analyse initiale tégumentaire dès que possible afin de découvrir toute rupture ou fragilité cutanée préexistante. En outre, de multiples outils d’évaluation sont disponibles, tels que les échelles de Braden et de Waterlow, pour évaluer le risque de plaies de pression. Bien que les directives cliniques internationales recommandent une évaluation initiale de la plaie de pression dans les huit heures suivant l’admission au service d’urgence, des données récentes démontrent que c’est une mesure inadéquate chez les patients à haut risque et gravement malades (Santamaria et coll., 2019). Ainsi, nous devrions procéder à une évaluation de la plaie de pression dans les quatre heures suivant l’admission à l’urgence (Santamaria et coll., 2019). Idéalement, dès le triage, les patients devraient être évalués pour déterminer le risque de développement d’une plaie de pression au moyen d’un outil normalisé et placés dans des espaces de soins appropriés, comme une chaise plutôt qu’une civière (Fullbrook et coll., 2019). Il est impératif que les patients soient continuellement évalués pour le risque de rupture cutanée et suivis pour déceler tout changement de l’état tégumentaire. Le personnel infirmier devrait recevoir la formation pour identifier les patients à haut risque et pour communiquer rapidement ces résultats à l’équipe interprofessionnelle.

Prévention

Un des principes fondamentaux de la pratique infirmière est la promotion de la santé et la prévention. Grâce à ce principe, le personnel infirmier peut réduire efficacement le risque de plaies de pression. Comme les temps d’attente s’allongent partout au Canada, il est plus important que jamais de prévenir les plaies de pression, mesure qui aura un effet à long terme sur notre système de soins de santé et sur les patients. Voici quelques exemples des diverses méthodes de prévention des plaies de pression :

  • Retirer les collets cervicaux et les planches dorsales dès que les précautions vertébrales sont levées (Santamaria et coll., 2019).
  • Faire passer les patients des civières aux lits d’hôpitaux dès leur admission à l’hôpital (Long, 2018).
  • Élaborer des programmes de repositionnement pour favoriser le changement de position au moins toutes les deux heures (Santamaria et coll., 2019).
  • Placer les patients à haut risque de développer des plaies de pression sur des matelas répartissant la pression dès leur admission au service d’urgence (Long, 2018).
  • Améliorer l’accès et la sensibilisation aux dispositifs de décharge de pression aux urgences, entre autres les cales de positionnement, les sur-matelas (Faulkner et coll., 2015).
  • Envisager l’application de pansements prophylactiques au niveau du sacrum et des talons lorsqu’il n’est pas possible de repositionner le patient fréquemment (Santamaria et coll., 2019).

Mobilisation

Pour promouvoir efficacement le changement et prévenir et réduire l’incidence des plaies de pression à l’urgence, nous devons mobiliser toute l’équipe interprofessionnelle et tous les échelons de la direction sanitaire (Santamaria et coll., 2019). Grâce au leadership, nous pouvons établir des attentes, des directives cliniques et des pratiques exemplaires pour éliminer les obstacles, encourager la collaboration et fournir des ressources tout en soutenant le personnel dans l’atteinte des objectifs (Santamaria et coll., 2019). Sans le soutien des échelons intermédiaires, les programmes de l’unité n’atteindraient pas la réussite voulue. Il est donc impératif que la direction soutienne une initiative du service d’urgence et les changements dans la pratique (Santamaria et coll., 2019). Par ailleurs, d'autres groupes professionnels, comme les physiothérapeutes, prouvent que de solides connaissances et une attitude positive à l’égard de la prévention des plaies de pression et de la collaboration interprofessionnelle créent une interdépendance au sein de l’équipe, optimisant ainsi les soins aux patients et améliorant la satisfaction du personnel (Clarkson, Worsley, Schoonhoven et Bader, 2019). Par conséquent, en partageant la responsabilité de la prévention et de la réduction des plaies de pression avec l’équipe interprofessionnelle et la direction, nous pouvons lutter avec succès contre les ruptures cutanées aux urgences.

Résumé

En 1859, Florence Nightingale écrivait : « S’il a des plaies de lit, ce n’est généralement pas attribuable à la maladie, mais aux soins » [traduction libre] (p. 6). Malgré tous les efforts déployés, divers obstacles s’opposent à la prévention efficace des plaies de pression dans les services d’urgence, notamment le manque de personnel, l’augmentation de la charge de travail, le nombre élevé de patients et les contraintes budgétaires et temporelles. Bien que la prévention des plaies de pression soit traditionnellement perçue comme un enjeu de soins infirmiers, une démarche interprofessionnelle s’avère ce qu’il y a de mieux (Clarkson et coll., 2019). Alors que la pression sur notre système de soins de santé s’amplifie, le personnel infirmier doit continuer à défendre la santé des patients, à mobiliser le leadership et à formuler des stratégies pour promouvoir des normes élevées pour les soins de base. L’intégration d’outils d’évaluation et de prévention appropriés permettra de lutter contre le risque de développement de plaies de pression à mesure que les temps d’attente aux urgences s’allongent.

De plus, la création d’une culture où les soins des plaies de pression commencent dès l’arrivée des patients aux urgences et se poursuivent jusqu’au transfert ou au congé favorise la santé des patients à court et à long terme. Finalement, en collaborant avec l’équipe interprofessionnelle et la direction, il est possible de créer un changement qui profitera aux patients et à notre système de soins de santé.

Références

Bauer, K., Rock, K., Nazzal, M., Jones, O. et Weikai, Q. » Pressure ulcers in the United States’ inpatient population from 2008 to 2012: Results of a retrospective nationwide study », Ostomy Wound Management, 62(11), 2016, p. 30–38.

Berg, G., Nyberg, S., Harrison, P., Baumchen, J., Gurss, E. et Hennes, E. « Near-infrared spectroscopy measurement of sacral tissue oxygen saturation in healthy volunteers immobilization on rigid spine boards », Prehospital Emergency Care, 14(4), 2010, p. 419–424. doi:10.3109/10903127.2010.493988

Clarkson, P., Worsley, P., Schoonhoven, L. et Bader, D. « An interprofessional approach to pressure ulcer prevention: A knowledge and attitudes evaluation », Journal of Multidisciplinary Healthcare, 12, 2019, p. 377–386. doi:10.2147/JMDH.S195366

Faulkner, S., Dowse, C., Pope, H. et Kingdon-Wells, C. (2015). « The emergency department’s response to pressure ulcer crisis », Wounds UK, 11(2), 2015, p. 20–25.

Fulbrook, P., Miles, S. et Coyer, F. « Prevalence of pressure injury in adults presenting to the emergency department by ambulance », Australian Critical Care, 32(6), 2019, p. 509–514. doi:10.1016/j.aucc.2018.10.002

Han, D., Kang, B., Kim, J., You, H. J., Jae, H. L., Ji, E. H., … Dong-Hyun, J. « Prolonged stay in the emergency department is an independent risk factor for hospital-acquired pressure ulcers », International Wound Journal, 17(2), 2020, p. 259–267. doi: 10.1111/iwj.13266

Han, Y., Jin, Y., Jin, T., Lee, S.-M. et Lee, J-Y. « Impact of pressure injuries on patient outcomes in a Korean hospital: A case-control study », Journal of Wound, Ostomy and Continence Nursing, 46(3), 2019, p. 194–200. doi:10.1097/WON.0000000000000528

Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Visites au service d’urgence et durée du séjour selon les données du SNISA, 8 décembre 2022. Tiré de https://www.cihi.ca/fr/visites-au-service-durgence-et-duree-du-sejour-selon-les-donnees-du-snisa

Kirman, C. « Pressure injuries (pressure ulcers) and wound care », 29 avril 2022.Tiré de https://emedicine.medscape.com/article/190115-overview

Long, D. « Best practices for pressure injury prevention in the ED », 2018. Tiré de https://americannursetoday.mydigitalpublication.com/articles/best-practices-for-pressure-injury-prevention-in-the-ed?article_id=3075007

Modsel. Stretchers vs. hospital beds: Costs & comparisons, 9 mai 2022.Tiré de https://www.medicalsearch.com.au/stretchers-vs-hospital-beds-costs-and-comparisons/f/23556

Nightingale, F. Notes on nursing, 1859, Lippincott.

Parnham, A. « Interface pressure measurements during ambulance journeys », Journal of Wound Care, 8(6), 1999, p. 279–282. doi:10.12968/jowc.1999.8.6.25891

Qualité des services de santé Ontario. Rendement du système, 2022. Tiré de https://www.hqontario.ca/Rendement-du-syst%C3%A8me

Santamaria, N., Creehan, S., Fletcher, J., Alves, P., & Gefen, A. « Preventing pressure injuries in the emergency department: Current evidence and practice considerations », International Wound Journal, 16(3), 2019, p. 746–752. doi:10.1111/iwj.13092


Peyton Root, inf. aut., travaille au service d’urgence du London Health Sciences Centre, de l’hôpital Victoria, à London, en Ontario.

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