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Pourquoi les trousses de naloxone à emporter devraient être offertes libéralement à l’urgence, sans aucun dépistage

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2023/06/05/take-home-naloxone-kits

Proposition d’intervention visant à réduire la crise des décès attribuables aux intoxications aux opioïdes

Par Chris Wenzel
5 juin 2023
SDI Productions | istockphoto.com/asiseeit
La création d’un processus simple et normalisé réduirait en fait le stress lié à la charge de travail, car il ne serait pas nécessaire de déterminer l’admissibilité d’un patient à une trousse de naloxone à emporter. On pourrait poser une seule question à chaque patient qui se présente à l’urgence, quels que soient ses symptômes ou ses antécédents : « Nous offrons des trousses de naloxone à emporter à tous les patients ou aux membres de la famille; souhaiteriez-vous en recevoir une? »

Messages à retenir

  • La pandémie de COVID-19 a exacerbé la crise actuelle de décès attribuables à l’intoxication aux opioïdes, l’année 2021 s’étant avérée la plus mortelle jamais enregistrée.
  • Les trousses de naloxone à emporter, distribuées intensivement dans les salles d’urgence, peuvent être un outil efficace. Bien qu’elles soient largement disponibles, les trousses servent peu, en grande partie en raison des obstacles liés à la charge de travail et aux contraintes de temps du personnel, ainsi qu’à l’assiduité au processus de prise de décisions fondé sur des critères.
  • L’adoption dans les salles d’urgence d’une méthode universelle de dépistage et de distribution de trousses de naloxone à emporter permettrait d’alléger la charge de travail et de renforcer l’utilisation des trousses de naloxone à emporter et disponibles dans la communauté.

Alors que le Canada continue de faire face à la pandémie de COVID-19 actuelle, il est aux prises avec une seconde pandémie qui s’est manifestée avant la COVID-19 : l’abus d’opioïdes et les décès liés à l’intoxication aux opioïdes s’aggravent depuis le début des années 2000. En 2016, le gouvernement canadien a tenté de résoudre cette crise au moyen de diverses nouvelles initiatives, avec un succès discutable (Gouvernement du Canada, 2022). L’apparition de la COVID-19 a engendré de nouvelles difficultés dans les efforts du Canada contre la crise des opioïdes, laissant la population dans un état vulnérable.

Les données actuelles indiquent que durant l’année où la pandémie de COVID-19 s’est manifestée, on notait une hausse de 96 % de décès apparents attribuables à l’intoxication aux opioïdes, dont 7 362 décès à l’échelle du Canada, contre 3 747 décès l’année précédente (Gouvernement du Canada, 2022). Des provinces comme l’Alberta et la Colombie-Britannique ont subi certains des pires effets de cette crise, recensant 1 623 décès liés aux opioïdes en 2021, l’année la plus mortelle jamais enregistrée en Alberta (Gouvernement de l’Alberta, 2022).

En quoi consistent les trousses de naloxone à emporter?

Une des interventions utilisées pour lutter contre les décès attribuables à l’intoxication aux opioïdes est la distribution intensive de trousses de naloxone à emporter. La naloxone est un médicament d’intervention en cas de surdose d’opioïdes qui peut être administrée par des non-professionnels. Elle est sûre, viable et efficace pour réduire les décès par surdose d’opioïdes dans le cadre communautaire (Gunn et coll., 2018). L’Organisation mondiale de la Santé a identifié la naloxone comme un outil important pour lutter contre la crise mondiale des opioïdes (O’Brien et coll., 2019). Une trousse de naloxone à emporter se compose de deux éléments : la trousse de naloxone (injectable ou intranasale), et une formation normalisée pour les patients et les membres de la famille sur l’identification des surdoses et l’intervention (Kestler et coll., 2017).

Au Canada, les trousses de naloxone à emporter sont de plus en plus accessibles au public par l’entremise de divers endroits, tels que les pharmacies. Les urgences des hôpitaux, en raison de leur accessibilité, offrent une occasion cruciale d’atteindre les membres vulnérables de la communauté exposés à une surdose, car les personnes qui font une consommation excessive ou abusive d’opioïdes sont plus susceptibles de se présenter à l’urgence que dans d’autres lieux de soins (Strang et coll., 2019). Des analyses de santé publique réalisées en Colombie-Britannique indiquent que 54 % des victimes d’une surdose avaient visité une salle d’urgence l’année précédente, et 19 % d’entre elles avaient quitté l'hôpital sans le consentement du médecin, ce qui indique des occasions manquées d’intervenir (Otterstatter et coll., 2018). Depuis 2016, les trousses de naloxone à emporter sont de plus en plus accessibles au public par l’entremise des urgences des hôpitaux. Malgré tout, l’utilisation reste faible, comme le montre une étude menée en Alberta qui révélait que moins de la moitié des patients dans une urgence qui répondaient aux critères de risque élevé de décès lié aux opioïdes ont reçu une trousse de naloxone à emporter (O’Brien et coll., 2019).

Malheureusement, la littérature sur les programmes de mise en œuvre des trousses de naloxone à emporter est limitée et il est donc difficile de déterminer les obstacles qui contribuent à la faible utilisation. Il est probable qu’il s’agisse d’un phénomène multifactoriel, mais parmi les obstacles couramment cités figure le manque de formation du personnel sur les trousses de naloxone à emporter et la réduction des méfaits, la lourde charge de travail, la confusion quant à l’admissibilité et la détresse morale concernant les méthodes de réduction des méfaits (Gunn et coll., 2018; O’Brien et coll., 2019). Tous ces obstacles sont dynamiques et s’avèrent difficiles à surmonter. Toutefois, je pense que la prise en compte d’un seul de ces facteurs pourrait avoir un effet notable sur la distribution des trousses dans les urgences.

Comment accroître l’utilisation

Dans la plupart des programmes de distribution de trousses de naloxone à emporter, les patients sont identifiés par divers critères, allant des surdoses d’opioïdes antérieures à l’admission pour consommation ou abus d’opioïdes (O’Brien et coll., 2019). En théorie, une telle identification est logique, car les fournisseurs de soins de santé peuvent alors allouer les ressources à ceux et celles qui en ont le plus besoin. Malheureusement, cette démarche ne se traduit pas bien dans la pratique; nous négligeons de nombreux patients, malgré le fait qu’ils répondent aux critères prédéterminés (Funke et coll., 2021; O’Brien et coll., 2019).

Déterminer qui est ou non admissible aux trousses de naloxone à emporter peut s’avérer une lourde tâche pour les fournisseurs de soins de santé et serait apparemment inefficace (Funke et coll., 2021; Gunn et coll., 2018; O’Brien et coll., 2019). L’admissibilité aux trousses de naloxone à emporter nécessite des preuves objectives que le fournisseur de soins de santé peut déceler par divers moyens. L’information qui se trouve dans le dossier du patient peut être trompeuse pour de nombreuses raisons, par exemple le patient n’a pas eu accès aux soins de santé dans le passé, ou réside dans une ville ou une province différente. Le récit que font les patients de leurs antécédents médicaux peut aussi s’avérer aléatoire, sous le prétexte que leur consommation d’opioïdes est minime et par crainte d’être stigmatisés. Ces facteurs peuvent accroître le stress lié à la charge de travail des fournisseurs de soins de santé, les poussant à éviter de proposer des trousses de naloxone à emporter (O’Brien et coll., 2019).

Une solution viable à ce dilemme serait de bannir la méthode de distribution fondée sur des critères et plutôt demander aux patients qui se présentent à l’urgence s’ils souhaiteraient ou non recevoir une trousse de naloxone à emporter.

Répercussions et conclusion

À une époque où la charge de travail du personnel infirmier est de plus en plus lourde et où les effectifs diminuent, l’ajout de tâches supplémentaires pourrait être contre-productif et même entraîner une faible distribution de la trousse. Mais la création d’un processus simple et normalisé réduirait en fait le stress lié à la charge de travail, car il ne serait pas nécessaire de déterminer l’admissibilité d’un patient à une trousse de naloxone à emporter. On pourrait poser une seule question à chaque patient qui se présente à l’urgence, quels que soient ses symptômes ou ses antécédents : « Nous offrons des trousses de naloxone à emporter à tous les patients ou aux membres de la famille; souhaiteriez-vous en recevoir une? » Une telle démarche maximiserait le nombre de patients susceptibles de demander une trousse de naloxone à emporter s’ils n’ont pas à dévoiler des détails personnels qui entraîneraient de la stigmatisation.

Le dépistage universel favoriserait aussi un changement de culture parmi les travailleurs de la santé dans le but de normaliser les pratiques de réduction des méfaits, comme la distribution de trousses de naloxone à emporter. Cette démarche pourrait prendre des formes différentes selon les champs de compétences, en fonction des politiques et procédures existantes. On pourrait poser la question aux patients au cours du processus d’inscription ou à la sortie de l’hôpital, en plus de proposer d’autres ressources pour faciliter la mise en oeuvre, comme des avis de pratique optimale via les systèmes de dossiers électroniques qui rappelleraient automatiquement au personnel infirmier d’offrir des trousses de naloxone à emporter.

Bien qu’on recense peu de recherches sur les mesures permettant de renforcer, dans les urgences, la distribution des trousses de naloxone à emporter, il est clair que les processus actuellement en place s’avèrent peu efficaces et doivent être réévalués.

Références

Funke, M., Kaplan, M.C., Glover, H., Schramm-Sapyta, N., Muzyk, A., Mando-Vandrick, J. et coll. « Increasing naloxone prescribing in the emergency department through education and electronic medical record work-aids », Joint Commission Journal on Quality and Patient Safety, 47(6), 2021, p. 364–375. doi: 10.1016/j.jcjq.2021.03.002.

Gouvernement de l’Alberta. « Alberta substance use surveillance system », 2022. https://healthanalytics.alberta.ca/SASVisualAnalytics/?reportUri=%2Freports%2Freports%2F1bbb695d-14b14346b66ed401a40f53e6&sectionIndex=0&sso_guest=true&reportViewOnly=true&reportContextBar=false&sas-welcome=false

Gouvernement du Canada. « Méfaits associés aux opioïdes et aux stimulants au Canada », 2022. https://sante-infobase.canada.ca/mefaits-associes-aux-substances/opioides-stimulants/

Gunn, A.H., Smothers, Z.P.W., Schramm-Sapyta, N., Freiermuth, C.E., MacEachern, M. et Muzyk, A.J. « The emergency department as an opportunity for naloxone distribution », Western Journal of Emergency Medicine, 19(6), 2018, p. 1036–1042. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30429939/

Kestler, A., Buxton, J., Meckling, G., Giesler, A., Lee, M., Fuller, K., et coll. « Factors associated with participation in an emergency department–based take-home naloxone program for at-risk opioid users », Annals of Emergency Medicine, 69(3), 2017, p. 340–346. https://doi.org/10.1016/j.annemergmed.2016.07.027

O’Brien, D. C., Dabbs, D., Dong, K., Veugelers, P. J. et Hyshka, E. « Patient characteristics associated with being offered take home naloxone in a busy, urban emergency department: a retrospective chart review », BMC Health Services Research, 19(1), 2019. https://bmchealthservres.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12913-019-4469-3

Otterstatter, M.C., Crabtree, A., Dobrer, S., Kinniburgh, B., Klar, S., Leamon, A., et coll. « Habitudes d’utilisation des soins de santé chez les personnes ayant fait une surdose de drogues illicites : analyse descriptive fondée sur la Cohorte provinciale des victimes de surdose de la Colombie-Britannique », Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada : Recherches, politiques et pratiques, 38(9), 2018, p. 328–333. Tiré de https://doi.org/10.24095/hpcdp.38.9.04

Strang, J., McDonald, R., Campbell, G., Degenhardt, L., Nielsen, S., Ritter, A., et coll. « Take-home naloxone for the emergency interim management of opioid overdose: the public health application of an emergency medicine », Drugs, 79(13), 2019, p. 1395–1418. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31352603/


Chris Wenzel, inf. aut., M. Nurs., est infirmier clinicien spécialisé au service de toxicomanie et de santé mentale au South Health Campus des Alberta Health Services, à Calgary.

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