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Questions et réponses (partie 3) : Quel est le rôle de la langue dans la prestation de soins aux patients autochtones

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2022/12/05/role-of-language-indigenous-patients

Lianne Mantla-Look, infirmière de langue Tłı̨chǫ, répond à nos questions

Par Lianne Mantla-Look
5 décembre 2022
istockphoto.com/portfolio/FatCamera
Le moindre détail peut donner à un fournisseur de soins de santé l’indice dont il a besoin pour comprendre le problème de santé d’un patient. Lorsque la langue constitue un obstacle, ces indices peuvent lui échapper.
Note de la rédaction : Lianne Mantla-Look a fait l’objet d’un profil dans Infirmière canadienne le 14 novembre. Dans cette série en quatre articles de questions et réponses, elle fournit un aperçu franc et direct de son expérience d’infirmière autochtone travaillant dans le Nord.

La langue est essentielle pour établir des relations entre les praticiens et les patients. Le fait de parler la même langue met les patients à l’aise, leur permet de mieux s’exprimer et engendre une relation de confiance.

De nombreux patients et fournisseurs de soins anglophones ont du mal à imaginer ce que ce serait de ne pas comprendre leur système de santé à cause de la langue. Malheureusement, la langue est tenue pour acquise. J’ai assisté à des situations où des fournisseurs de soins de santé allochtones se rendaient compte que leur patient ne parlait pas l’anglais comme langue première.

Gracieuseté de Lianne Mantla-Look
« J’ai la chance de parler couramment ma langue maternelle et l’anglais. Je crois fermement que ma maîtrise de la langue aide à établir une relation et la confiance en tant que fournisseur de soins de santé », affirme Lianne Mantla-Look, infirmière parlant la langue Tłı̨chǫ.

Il est déconcertant d’être témoin de la déception et parfois de la honte sur le visage du patient lorsqu’une situation du genre se produit, car il doit attendre qu’on fasse appel à un interprète, ce qui prolonge son attente pour voir son fournisseur de soins de santé. Les patients ressentent de la honte parce qu’ils ne peuvent pas communiquer avec l’infirmière ou l’infirmier, ou le médecin, et ils peuvent percevoir ou sentir la frustration du fournisseur de soins de santé lorsque cet obstacle se présente. Un interprète interfère-t-il avec la capacité d’un patient à défendre ses intérêts ou avec la qualité des soins qu’il reçoit? Le moindre détail peut donner à un fournisseur de soins de santé l’indice dont il a besoin pour comprendre le problème de santé d’un patient. Lorsque la langue constitue un obstacle, ces indices peuvent lui échapper.


La semaine prochaine — Questions et réponses (partie 4) : Comment les praticiens allochtones peuvent-ils soutenir les soins que vous offrez?


Mon expérience

En tant qu’infirmière autochtone travaillant dans le Nord, je sais de première main que la langue est à la fois une occasion et un obstacle.

Quand j’étais infirmière à l’hôpital, j’étais ravie d’aider mes collègues à apprendre des expressions et des mots simples en Tłı̨chǫ (prononcé tli-cho ou tlee-cho) lorsqu’on leur assignait des clients Tłı̨chǫ aînés. Les aînés Tłı̨chǫ étaient toujours ravis de constater les efforts déployés par leurs infirmières ou infirmiers pour les mettre à l’aise. Si j’étais présente, les aînés me demandaient si mes collègues avaient appris la langue de moi et me disaient à leur tour combien ils étaient fiers de moi.

Plus tard, je suis devenue infirmière en santé communautaire à Behchokǫ̀, où j’ai grandi. Une rencontre me fait toujours sourire : J’ai vu une aînée dans la clinique sans rendez-vous, et elle semblait nerveuse après que j’ai appelé son nom. Après m’avoir suivie dans la salle d’examen, elle a demandé dans un anglais approximatif s’il y avait un interprète, et j’ai répondu en Tłı̨chǫ : « Pourquoi avez-vous besoin d’un interprète? Je peux très bien vous comprendre. » Elle a d’abord été étonnée, puis elle a éclaté de rire! Elle m’a dit : « Vous êtes Tłı̨chǫ? Je croyais que vous étiez Blanche! » Elle a encore ri et s’est renseignée sur mes parents et mes grands-parents. Après avoir établi ma place dans la communauté, nous avons abordé la raison de sa consultation au centre de santé. Elle était tellement soulagée d’être examinée par une infirmière de langue Tłı̨chǫ et de ne pas avoir à compter sur un interprète pour expliquer la raison de sa visite. À la fin, elle m’a serré la main et m’a remercié sans réserve tout en me disant combien elle était heureuse de voir une infirmière de langue Tłı̨chǫ travailler dans la communauté.

J’ai constaté que les interprètes en soins de santé sont d’une importance vitale, mais ce service n’est pas disponible pour les patients qui doivent se présenter à des consultations médicales hors de leur territoire. Le patient doit alors compter sur un membre de sa famille ou un accompagnateur pour interpréter à sa place, situation pouvant créer des obstacles aux soins de santé.

Bien que cela ne se produise pas régulièrement, il arrive que des membres de la famille et des amis cachent délibérément à leurs proches qui leur font office d’interprètes des renseignements médicaux essentiels. Dans ces situations, j’interpellais les membres de la famille et leur disais que ce n’était pas éthique et qu’ils n’agissaient pas dans l'intérêt du patient. Par la suite, les membres de la famille transmettaient l’information correcte au patient. Les raisons invoquées pour ne pas fournir les renseignements médicaux corrects étaient nombreuses. Certains disaient qu’ils essayaient de ménager les sentiments du patient; d’autres invoquaient qu’ils ne voulaient pas que le patient soit déprimé ou perde espoir. Certains membres de la famille ont estimé que le patient était trop faible et trop fragile pour faire face à cette information.

S’en remettre à des amis ou à des membres de la famille comme interprètes peut également constituer un véritable défi en matière de respect de la vie privée, car le patient peut ne pas être aussi disposé à fournir de l’information essentielle s’il est trop dans l’embarras ou timide pour parler par l’entremise d’un membre de sa famille ou d’un ami. En outre, la terminologie médicale n’est pas facile à traduire dans une langue autochtone. Un simple mot en anglais peut se transformer en une longue phrase dans une langue autochtone, sans pour autant être médicalement exact, ce qui peut conduire à des renseignements erronés.

Nous ne devrions pas compter sur les amis et la famille pour la traduction médicale, et nous devons former et soutenir davantage d’interprètes médicaux. Cette mesure est nécessaire lorsqu’il existe une barrière linguistique entre les patients et les fournisseurs de soins.

J’ai la chance de parler couramment ma langue maternelle et l’anglais. Je crois fermement que ma maîtrise de la langue aide à établir une relation et la confiance en tant que fournisseur de soins de santé. J’estime avoir fourni les meilleurs soins possibles lorsque je peux défendre les intérêts de mes patients dans leur langue maternelle. J’ai parlé de cette expérience dans la revue Northern Public Affairs (Mantla-Look, 2020), dont un extrait figure dans mon article de questions et réponses du 28 novembre.

Référence

Mantla-Look, L. « Bridging the gap between two world views: Perspectives of an Indigenous nurse », Northern Public Affairs, Août 2020, p. 25–27.


Lianne Mantla-Look est infirmière autorisée qui vit et travaille à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle utilise la langue avec laquelle elle a grandi pour combler les lacunes dans l’accès aux soins de santé pour les personnes qui parlent Tłı̨chǫ (prononcé tli-cho ou tlee-cho) et pour défendre les intérêts des patients autochtones dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. Lisez son profil pour en apprendre davantage.

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