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Questions et réponses : Quels conseils donneriez-vous aux membres du personnel infirmier qui ont subi de la violence verbale?

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2023/06/28/advice-for-nurses-experienced-verbal-abuse

Une infirmière du service d’urgence et chercheuse transmet ses connaissances sur la façon dont les employeurs peuvent maintenir en poste les infirmières et infirmiers et assurer leur sécurité

Par Jiun Zullo
28 juin 2023
istockphoto.com/MeekoMedia
Le personnel infirmier continue de subir quotidiennement de la violence verbale, qui est souvent le précurseur de la violence physique, soit un effet secondaire inacceptable de l’augmentation des temps d’attente, de l’inadéquation des lieux de soins ou de l’exacerbation des émotions attribuables à la maladie et à la douleur chez soi ou chez ses proches.

Vous avez étudié les effets de la violence verbale sur le personnel infirmier des services d’urgence. Quelles sont, selon vous, les conclusions les plus surprenantes? Quels conseils donneriez-vous aux infirmières et infirmiers qui subissent de la violence verbale?

En 2020, j’ai interrogé six membres du personnel infirmier qui avaient subi de la violence verbale dans le cadre de leurs fonctions dans le service d’urgence (lire l’étude). Ces professionnels ont indiqué qu’ils avaient été déçus par leur travail à la suite d’agressions verbales de la part de patients ou de visiteurs. La déception professionnelle est le sentiment de désillusion quant au choix de carrière. J’ai aussi découvert un aspect encore plus inquiétant pendant l’étude : les infirmières et infirmiers n’ont pas seulement été déçus professionnellement en raison de la violence verbale, ils l’ont également été en dépit de celle-ci. Ce que je veux dire par là, c’est qu’en utilisant une méthodologie descriptive qualitative pour comprendre ce phénomène, les infirmières et infirmiers ont déterminé que leur déception professionnelle résultait aussi du manque de soutien de la part de la direction pour faire face à la violence verbale, ainsi que des lacunes dans les politiques et procédures conçues pour atténuer la violence et l’agression.

Il n’était pas question d’épuisement, même si de nombreux infirmiers et infirmières approchaient de leur capacité à atteindre cet état. Cependant, ceux qui ont été déçus par leur travail envisageaient d’autres possibilités d’emploi ou d’abandonner la profession au moment de l’étude.

Le personnel infirmier continue de subir quotidiennement de la violence verbale, qui est souvent le précurseur de la violence physique, soit un effet secondaire inacceptable de l’augmentation des temps d’attente, de l’inadéquation des lieux de soins ou de l’exacerbation des émotions attribuables à la maladie et à la douleur chez soi ou chez ses proches. Les professionnels travaillant dans les hôpitaux de soins actifs doivent connaître les politiques institutionnelles qui régissent leur pratique pour réagir à la violence verbale ou physique. S’il n’y en a pas, ils doivent demander aux gestionnaires ou aux directeurs de les guider dans la prise en charge de ces situations (voir section 2.0, p. 10, du document La gestion et l’atténuation des conflits dans les équipes de soins de santé de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario). Toute occasion d’apprendre à naviguer dans ces situations précaires doit être saisie.

Lorsque les infirmières ou infirmiers sont confrontés à une forme quelconque de violence, ils ne doivent pas hésiter à la signaler. Il ne peut y avoir de solution à ce problème sans une documentation appropriée de l’incident. La documentation de l’incident permet de recueillir des données pour établir des tendances. Trop souvent, les infirmières et infirmiers de première ligne normalisent ce type de comportement sur le lieu de travail et omettent de l’identifier comme une anomalie. Le signalement est essentiel pour lutter contre toute forme de maltraitance dans les établissements de soins de santé.

L’importance d’identifier la discussion sur la déception professionnelle se répercute dans l’état actuel de la pratique infirmière. La pandémie a mis en évidence, pour beaucoup, l’importance de donner la priorité à la santé et à la satisfaction personnelles. Dans ce contexte, et compte tenu de l’expérience du personnel infirmier en matière de déception professionnelle, il semble que les infirmières et infirmiers choisissent de quitter les milieux qui contribuent à ce type de désillusion. La déception liée au choix de carrière est résolue par la recherche d’emploi ailleurs, dans des environnements où le personnel peut être bien soutenu en matière de politiques ou de rémunération, ou dans lesquels il exerce en toute sécurité et avec des ressources adéquates. Il est clair que ces questions ne sont pas bien traitées actuellement dans certains hôpitaux de soins actifs, où le taux d’attrition de la main-d’œuvre infirmière est élevé.

Comme décririez-vous la culture infirmière du service d’urgence avant la pandémie? Comment la décririez-vous maintenant? Veuillez fournir des exemples pour illustrer votre propos.

La culture infirmière au sein du service des urgences a toujours été un défi. Travailler dans un service d’urgence, c’est s’engager à toujours anticiper l’inconnu. C’est un environnement chaotique et bruyant, où des personnes de tous les horizons se hasardent dans ce qui peut être leur moment le plus vulnérable et le plus difficile. Le sens de la famille et les liens entre collègues d’un même quart de travail qui s’occupent des patients les plus malades sont cependant très forts. En tant qu’infirmier ou infirmière à l’urgence, le fait de pouvoir faire confiance à son collègue ou à son équipe permet de nouer des relations que peu de gens connaissent sur le plan professionnel.

Avant la pandémie, les difficultés à surmonter comprenaient la dotation en personnel infirmier qualifié, le perfectionnement des infirmières et infirmiers débutants pour qu’ils puissent répondre aux exigences avancées de la prise en charge des patients présentant des cas complexes, et la satisfaction des demandes de soins des patients dans des environnements mouvementés. La violence, tant verbale que physique, était souvent présente; la réduction de l’incidence de la violence était un objectif d’amélioration de la qualité pour les dirigeants en soins infirmiers. Avant la pandémie, les services d‘urgence étaient déjà confrontés à de nombreux problèmes, ce qui en faisait des systèmes imparfaits. Les infirmières et infirmiers ont continué à servir la communauté, essayant chaque jour d’améliorer ce service en siégeant à des comités et en mettant en œuvre des plans d’amélioration des processus.

Lorsque j’ai examiné la situation à la fin de l’année 2022, le système de santé entamait sa troisième année de pandémie de COVID‑19. Les années de pandémie ont aggravé un système déjà aux prises de difficultés. Après la pandémie, les médias soulignent quotidiennement les graves pénuries de personnel infirmier. Il y a un manque criant d’infirmières et d’infirmiers qualifiés et aptes à travailler. De nombreux services d’urgence ont fermé leurs portes en Ontario en raison d’une pénurie de personnel infirmier sans précédent au cours de l’été 2022. Il est de plus en plus difficile de maintenir des niveaux adéquats de dotation, de recruter et de retenir les membres du personnel infirmier compétents et aptes à prendre en charge en toute sécurité des patients présentant des cas fort complexes. Sur le plan empirique, de nombreux infirmiers et infirmières des urgences ont atteint un point de déception ou d’épuisement professionnel, car ils sont obligés d’assumer simultanément plusieurs rôles ou de fournir des soins à des patients dont l’état est insurmontable.

Les collègues du service d’urgence avec lesquels j’ai travaillé ont quitté leur poste pour de nombreuses raisons, notamment le rythme de travail dans des environnements moins stressants pour des salaires comparables. Ils veulent travailler dans des services où la sécurité des patients n’est pas en proie à des ratios soignants-patients disproportionnés ou lorsque les soins aux patients ne sont pas aggravés par l’attrition du personnel infirmier. Ce dernier point est important si l’on considère les risques encourus par le personnel en cas de violence ou d’agression. L’incapacité à garantir des effectifs sûrs pour chaque quart de travail compromet l’efficacité en matière d’intervention des membres de l’équipe face à la violence et l’efficience de la désescalade, tout en augmentant le risque de conséquences négatives pour le personnel infirmier.

Ces enjeux ont contribué à la dégradation d’une culture infirmière auparavant solide. Le manque de personnel, l’incapacité à travailler en équipe, l’augmentation de la volatilité, la fréquence croissante du travail en solo – jumelés au déficit de membres du personnel infirmier chevronnés et à ce qui semble être un mouvement incessant d’infirmières et d’infirmiers qui intègrent et quittent rapidement le service d’urgence – ont eu un effet grave sur ceux qui restent. La culture des soins infirmiers d’urgence est influencée par la satisfaction du personnel infirmier sur le lieu de travail et il y a malheureusement plus d’incitatifs à partir qu’à rester pour beaucoup d’entre eux.

Si vous aviez une liste de trois éléments que vous pourriez changer dans la profession infirmière pour améliorer la culture, quels seraient-ils?

Une première recommandation serait de reconnaître que les infirmières et infirmiers sont un élément essentiel des soins de santé, de reconnaître leur valeur dans la prestation de tous les services de santé et ainsi de rehausser leur rémunération, en conformité avec les autres professions du secteur public et les hausses du coût de la vie. Il devient évident que ceux qui détiennent le pouvoir, tant dans les établissements de soins de santé qu’au sein du gouvernement, dévaluent la profession infirmière. À l’échelon institutionnel, les membres du personnel infirmier sont le moteur de la prestation des soins, mais les salaires ne tiennent pas compte de leurs contributions et qualifications. Malgré le manque de personnel et l’augmentation des ratios soignants-patients, les salaires stagnent.

En Ontario, par exemple, la loi sur la suppression des salaires (Projet de loi 124) a limité les augmentations salariales à 1 %. Les exigences professionnelles accrues et la volatilité des environnements dans lesquels le personnel infirmier évolue ne se traduisent tout simplement pas dans leur salaire. Le taux d’augmentation salariale prévu par la loi est également bien inférieur au taux d’inflation actuelle et aux hausses de salaire accordées à d’autres professions traditionnellement dominées par les hommes, tels que les forces policières ou les services d’incendie. On ne saurait trop insister sur le fait qu’à l’heure actuelle, dans ce contexte de pénurie, il faut ajouter une incitation financière pour encourager les infirmières et infirmiers à travailler, en particulier dans les secteurs cruciaux comme les services d’urgence qui roulent 24 heures sur 24.

Une deuxième recommandation pour améliorer la culture infirmière est de revenir à une méthodologie pratique, où on procéderait à des simulations de codes et où les formateurs sortiraient de leur bureau pour offrir un enseignement vital en personne. Bon nombre d’infirmières et d’infirmiers des services d’urgence souhaitent une formation qui aille au-delà de la formation par courrier électronique, qui est désormais courante, et grâce à laquelle les formateurs compileraient de vastes quantités de renseignements nécessaires et les transmettraient sous forme de compte rendu hebdomadaire. Cette transition d’une formation pratique à un modèle nettement moins interactif et plus axé sur l’autoapprentissage semble contribuer à une culture infirmière déconnectée, où le maintien de la formation courante n’est pas une priorité. Les organisations semblent plutôt n’exiger que la simple présence d’un être physique disposé à travailler. L’infirmière qualifiée est remplacée par n’importe quel infirmier disponible.

Dans le climat actuel de manque de personnel et d’exode d’infirmières et infirmiers compétents, l’importance de la formation en personne est énorme. Les formules pédagogiques traditionnelles, telles que les services internes offerts par les fournisseurs de produits, étaient limitées avant la pandémie et sont maintenant inexistantes, sans plan de reprise. Les journées d’acquisition de compétences n’existent plus non plus, car les enseignants cliniques sont de plus en plus sollicités par les entreprises, ce qui limite la disponibilité de leur département pour planifier et mettre en œuvre ce type de formation concertée. Les compétences des infirmières et infirmiers des services d’urgence reposent sur l’acquisition de l’expérience par la démonstration et la répétition. On ne peut tout simplement pas y parvenir par courrier électronique.

Enfin, la reconnaissance de la violence verbale et physique dont sont victimes les infirmières et infirmiers des services d’urgence doit être mise en priorité. Les dirigeants remercient souvent le personnel infirmier pour les soins qu’il prodigue par l’entremise de courriels envoyés en masse, mais leurs actions ne correspondent pas aux messages qu’ils transmettent. La violence verbale et physique est si répandue que ces incidents cruciaux sont rarement abordés. Pour le personnel infirmier, l’incidence de ces types d’incidents est aussi puissante que la réanimation de patients gravement malades. Toutefois, un incident fera probablement l’objet d’une enquête, alors qu’un autre ne le fera pas. Comme le personnel infirmier sait que les patients peuvent présenter des altérations de l’humeur ou du comportement en raison d’une maladie biologique, de l'influence de drogues ou de l’alcool ou simplement d’une crise situationnelle, il est raisonnable de s’attendre à une discussion plus ouverte et plus franche sur ce type de violence. Un dialogue plus cohérent permet inévitablement de trouver des solutions afin d’atténuer ces incidents ou d’éviter qu’ils ne se produisent. En s’éloignant délibérément de la normalisation de la violence, on pourrait montrer aux membres de l’effectif infirmier restants dans les services d’urgence qu’on les valorise et que leur sécurité n’est pas négociable.

Références

Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario. La gestion et l’atténuation des conflits dans les équipes de soins de santé, Septembre 2012. Tiré de https://rnao.ca/sites/rnao-ca/files/HWE_BPG_CONFLICT_FR_0.pdf

Zullo, J., Corcoran, L. et Cook, K. « Occupational disappointment and emergency nurses: A qualitative descriptive study », Canadian Journal of Emergency Nursing, 45(2), 2022, p. 83–89. doi:10.29173/cjen166


Jiun Zullo, inf. aut., a voué sa carrière au service des urgences à Lakeridge Health et est chargée de cours à temps partiel à la faculté des sciences infirmières Trent/Fleming en Ontario.

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