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Ce que nous pouvons apprendre en traitant le deuil comme un voyage dans un « espace sacré »

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2024/01/02/grief-as-a-journey-into-sacred-space

Conseils sur la façon d’être une meilleure présence réconfortante pour les personnes endeuillées

Par Karen Skillings
2 janvier 2024
istockphoto.com/triloks
Les personnes endeuillées déclarent massivement être blessées à nouveau par le « réconfort » que leur offrent les autres. Les mots censés être apaisants peuvent être tellement discordants par rapport à ce que vivent les familles et les amis.

Je n’oublierai jamais cette nuit, il y a 47 ans, lorsque je suis arrivée pour travailler à la maternité. J’étais diplômée depuis deux ans, une infirmière novice. J’ai été heureuse d’apprendre qu’une patiente en travail était en cours de déclenchement et de dilatation. C’était une bonne chose. Elle accoucherait pendant mon quart de travail, ce qui ferait passer le temps rapidement cette nuit-là. Mais, quelle était la raison du déclenchement? Son bébé était mort la semaine précédente. J’ai demandé à la superviseure un changement d’affectation, mais ce n’était pas possible avec notre petit effectif. J’ai donc rencontré le couple, mon ventre de femme enceinte de huit mois me précédant dans la pièce. Vous pouvez donc imaginer le chagrin que j’ai ressenti pendant cette longue période de travail.

Darian Harper, Shutterup Photography
« Soigner les personnes endeuillées, c’est révéler notre empathie et notre compassion, accorder son attention à l’autre (écoute active), et être présent plutôt que de s’activer à la tâche », explique Karen Skillings.

Je n’avais pas appris grand-chose à l’école d’infirmières ni dans la vie, sur la manière d’être une présence réconfortante face à une telle souffrance. Depuis, j’ai soigné de nombreux patients mourants et leurs familles. J’ai enseigné les soins infirmiers et élaboré des programmes d’études sur la fin de vie. J’ai perdu mes propres enfants mort-nés, mes grands-parents, mes parents, mes frères et sœurs et tant d’amis chers. Et puis la plus grande perte de toutes, celle de mon âme sœur. Aucune de mes expériences ou recherches ne m’avait préparée à l’agonie de cette mort. J’ai écrit et publié des poèmes pendant cette période de profonde douleur, ce qui m’a permis de guérir progressivement. Je me suis jointe à des groupes où les âmes sœurs endeuillées expriment leur souffrance et reçoivent du soutien. Je visite des sociétés de soins palliatifs pour partager des poèmes et participer à des conversations qui soutiennent ce parcours très individuel de perte, de deuil et de guérison.

L’expérience de ma propre perte et de celle d’autres personnes m’a permis de découvrir que la société nord-américaine, y compris les professions de la santé, n’a pas beaucoup progressé dans la préparation de chacun d’entre nous à être une présence réconfortante pour les personnes endeuillées. En tant que membres du personnel infirmier, nous disposons d’un arsenal de connaissances et de compétences qui nous permettent d’atteindre nos objectifs de promotion de la santé et d’atténuation de la souffrance.

Les personnes endeuillées déclarent massivement être blessées à nouveau par le « réconfort » que leur offrent les autres. Les mots censés être apaisants peuvent être tellement discordants par rapport à ce que vivent les familles et les amis en deuil. Les recommandations de prendre des médicaments pour surmonter la souffrance, la litanie de platitudes : « Il est dans un meilleur endroit » « Dieu avait besoin de lui davantage », « La vie continue », etc. Les conseils à n’en plus finir : « Faites semblant jusqu’à ce que vous y arriviez », « Réservez une heure de votre journée au deuil », « Soyez reconnaissant de ne plus le voir souffrir », « Reprenez votre vie en main », « Retournez au travail », « Ne retournez pas au travail », « Faites l’acquisition d’un chien », « Pas de chien », « Faites quelque chose », « Ne faites rien ». Et ces commentaires douloureux qui viennent de cœurs si bienveillants : « Vous devriez aller mieux maintenant », « Vous avez l’air mal en point », « Il serait tellement déçu de vous voir vous enliser dans le chagrin », « Vous trouverez à nouveau l’amour ».

À cela s’ajoute la souffrance d’être abandonné par la famille et les amis, évités par ceux qui ne tolèrent pas d’être témoins de cette douleur. Et il y a la douleur supplémentaire de ceux qui se lancent dans leurs propres récits de perte. La plupart du temps, les personnes endeuillées écoutent avec bienveillance et se rappellent, encore et encore, que le désir compatissant d’atténuer la douleur est l’intention aimante qui se cache derrière les mots blessants.

Le passage à une présence curative

Je me demande si les professionnels de la santé peuvent modifier leur façon de comprendre le deuil afin d’être une présence réconfortante pour leurs patients, les familles et les amis. J’ai observé que notre esprit infirmier assimile la souffrance à la maladie, ce qui est approprié pour la douleur physique. Nous dispensons des médicaments et des conseils, qui soulagent souvent la souffrance physiologique que nos cœurs bienveillants reconnaissent et cherchent à soulager. Mais comment les membres du personnel infirmier réagissent-ils au deuil? Nous mettons en pratique le processus de soins infirmiers : reconnaître ce qui est souvent diagnostiqué comme une détresse émotionnelle, identifier les causes, offrir du soutien émotionnel, mettre en lien la personne endeuillée avec des professionnels, tels que des collègues en travail social ou en santé mentale pour qu’ils offrent leur aide experte, et enfin boucler le processus de soins infirmiers en évaluant le résultat de ces interventions.

Mais qu’en est-il si le deuil est une expérience de détresse spirituelle plutôt qu’émotionnelle? Comparons les deux. Les émotions sont variables. Elles vont et viennent comme le vent, car elles vivent à la surface de nos vies physiques. Elles peuvent facilement surgir et être enflammées, calmées ou transformées en entendant un commentaire, un morceau de musique ou en lisant un article. Toute action dans la vie extérieure et mondaine (toute croyance ou tout préjugé illusoire) peut influencer les émotions.

Opposons maintenant le domaine émotionnel au domaine spirituel. Le Search Institute, une organisation à but non lucratif qui soutient les jeunes, a mené des recherches internationales et interculturelles sur l’évolution spirituelle qu’il décrit comme « l’interaction constante, continue et dynamique entre le voyage intérieur d’une personne et son voyage extérieur ». Il identifie trois processus importants pour perfectionner sa conscience spirituelle : s’éveiller à soi-même, aux autres et à l’univers (qui peut être compris comme incluant le sacré) de façon à cultiver l’identité, le sens et le but; accueillir les relations avec les autres, le monde et le domaine spirituel de manière à donner un sens à l’expérience humaine; et vivre une vie intégrée, ce qui signifie exprimer de façon authentique ses « forces, son identité, ses passions, ses valeurs et sa créativité » de manière à établir des liens significatifs et diversifiés.

Bien que mon programme d’enseignement en soins infirmiers m’ait bien enseigné la santé physique et psychologique, il ne m’a rien enseigné sur le domaine spirituel. Mon programme d’orientation spirituelle m’a enseigné les indicateurs de la santé spirituelle (qui sont bien décrits ci-dessus par le Search Institute), ainsi que les indicateurs de la détresse spirituelle. Cette dernière est associée à des événements qui perturbent l’équilibre spirituel, trouble le sentiment d’identité, l’orientation et le but, et l’expérience d’être en relation avec l’être aimé. Je reconnais des thèmes courants de détresse spirituelle dans mes poèmes et dans les descriptions d’autres personnes : en vie, mais ne vivant pas; perte profonde de sens, d’identité et d’amour inconditionnel; et profond désespoir, abandon et détresse. Le deuil est une crise existentielle et spirituelle plutôt qu’un phénomène éphémère ou émotionnel.

Que signifie ce changement de paradigme pour notre façon d’accompagner les personnes endeuillées? Il me semble que le parcours vers la détresse spirituelle et dans cet état d’esprit pourrait être reconnu plus utilement comme une expérience sacrée (un « espace sacré » métaphorique dans la vie d’une personne) qui ne peut être soutenue que par des comportements issus du domaine spirituel. Je pense, par exemple, à la compassion et à l’empathie qui nous ont poussés à nous engager dans les soins de santé et qui nous y maintiennent dans les moments difficiles.

L’essentiel est d’aborder la personne endeuillée avec son cœur totalement ouvert, et non avec sa tête et de se joindre à elle dans cet espace sacré. Quelles pourraient alors être nos interventions infirmières? Je vous propose :

  • de faire preuve de compassion, avant tout;
  • de reconnaître leur douleur et d’accepter que chacun la vive de manière unique;
  • de respecter les moments de silence pour laisser à la personne endeuillée l’espace nécessaire pour s’exprimer;
  • de faire preuve de courage et d’offrir une écoute profonde, avec l’humilité d’éviter les platitudes et les conseils;
  • de choisir d’être une présence réconfortante plutôt qu’une personne qui guérit;
  • de faire appel à sa sagesse pour transcender le rôle habituel de guérison, car on ne peut pas guérir l’âme blessée d’une autre personne;
  • de suivre les conseils intuitifs de son âme pour reconnaître quels sont les besoins ici et maintenant, soit une oreille attentive, le toucher ou une larme.

L’univers de la profession infirmière a été très difficile ces dernières années. Le personnel infirmier s’efforce de fournir les soins sûrs dont les patients ont besoin, en faisant preuve d’une bienveillance qui va au-delà des responsabilités éthiques. Soigner les personnes endeuillées, c’est révéler notre empathie et notre compassion, accorder son attention à l’autre (écoute active), et être présent plutôt que de s’activer à la tâche. Même si nous ne disposons que de quelques instants, nous pouvons savoir que nous avons aidé et non blessé. Nous pouvons être une présence réconfortante. Voilà ce que nous devons offrir.


Karen Skillings, inf. aut., B. Sc. inf., M. Éd., auteure de Love, Loss, New Life: Writing Your Way from Grief to Happiness est titulaire de certificats en toucher thérapeutique et en orientation spirituelle. Apprenez-en plus à karenskillings.com.

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