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Mon parcours de l’Afghanistan au Canada : ce que j’ai appris sur la façon d’aider les infirmières et infirmiers formés à l’étranger

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2023/05/23/my-journey-from-afghanistan-to-canada

Solutions pour veiller à faire appel aux infirmières et infirmiers de l’étranger de façon optimale

Par Zahra Sultani
23 mai 2023
istockphoto.com/urbazon
Le processus d’inscription des IFÉ peut être difficile et accablant. Certains candidats peuvent mettre des années à boucler le processus. Selon le pays d’où l’on vient, l’obtention des documents nécessaires pour satisfaire aux exigences bureaucratiques peut être extrêmement difficile.

Le Canada peut et doit utiliser à meilleur escient les infirmières et infirmiers formés à l’étranger (IFÉ), surtout au moment où nous sommes aux prises avec des pénuries de main-d’œuvre infirmière attribuables à la pandémie et à des délais dans les soins. Leurs compétences et expériences sont inestimables pour notre système de soins de santé. Bien que la mobilisation, le soutien et l’embauche des IFÉ posent de nombreux défis, ceux-ci peuvent être surmontés si nous prenons les mesures appropriées, dont certaines faisant l’objet du présent article.

J’espère que le récit de mon expérience comme IFÉ vous permettra non seulement d’avoir un aperçu des difficultés auxquelles les IFÉ sont confrontés, mais vous découvrirez aussi des solutions pour que les IFÉ puissent contribuer à atténuer les difficultés auxquelles notre système de soins de santé fait face.

L’Iran et l’Afghanistan

Je suis née en Iran et j’y ai commencé ma carrière d’infirmière. Peu après, j’ai déménagé en Afghanistan, qui, à l’époque, s’enlisait vers la guerre. Travailler comme fournisseur de soins de santé dans un pays en proie à la guerre, aux attentats suicides et aux explosions n’est pas une mince affaire, mais cette expérience a fait de moi une infirmière confiante, compétente et innovante.

Gracieuseté de Zahra Sultani
« Le Canada est la terre d’accueil de bon nombre de nouveaux résidents comme moi. C’est un pays où l’on y trouve de la dignité et qui regorge de possibilités et de beautés. Nous sommes fiers de notre nouveau foyer et voulons le rendre meilleur pour chacun d’entre nous », déclare Zahra Sultani.

En raison de la pénurie de personnel soignant, nous ne disposions pas des modèles de collaboration interprofessionnelle que l’on trouve ici au Canada. Deux infirmières et trois étudiants en soins infirmiers faisaient tout ce qui était nécessaire pour s’occuper de nos patients. Nous passions du sauvetage de femmes souffrant de complications graves pendant l’accouchement à la prise en charge de victimes d’explosions la minute suivante. Cette expérience nous a rendus plus forts, plus dévoués et plus compétents. Tant que c’était sans danger pour les patients, nous allions souvent au-delà de notre champ d’exercice. Nous devions innover pour sauver des vies et utiliser les ressources efficacement.

Je croyais que mon expérience me rendait apte à travailler partout dans le monde. Mais comme j’allais le découvrir, ce n’était pas aussi facile que je le pensais.

L’arrivée au Canada

J’ai immigré au Canada en 2017, m’attentant à travailler comme je le faisais en Afghanistan. Bien que j’étais une infirmière chevronnée, j’ai commencé à faire du bénévolat dans une clinique de santé, dans l’espoir d’acquérir de l’expérience et d’en apprendre plus sur les soins de santé au Canada.

En tant que bénévole, je n’étais pas censée faire quoi que ce soit d’autre que de nourrir ou d’accompagner les patients. Mais la pénurie de main-d’œuvre infirmière a entraîné une charge de travail accablante. Certains de mes collègues savaient que j’étais clinicienne et ils ont commencé à me confier des tâches que je n’étais pas censée faire. Je n’étais pas la seule à qui on demandait d’outrepasser son rôle, en violation des règlements. Les étudiants en soins infirmiers, par exemple, se voyaient parfois demander d’assumer des tâches avec lesquelles ils n’étaient pas à l’aise (voir Seah, Ho, Liaw, Ang et Tiang, 2021). Malgré mon malaise, je ne pouvais pas rester sans rien faire lorsque les membres du personnel infirmier avaient besoin d’aide pour quelque chose que je savais très bien faire moi-même. Ces jours-là, je me sentais désespérément frustrée.

Je devais tout recommencer; c’était à mon sens une perte de temps et d’argent et une piètre utilisation des ressources humaines dans un contexte de pénurie mondiale de personnel infirmier. Je ne comprenais pas les raisons qui empêchaient une IFÉ chevronnée comme moi d’intégrer le marché du travail. Mon expérience à la clinique a clairement montré que mes compétences étaient indispensables. En 2018, je me suis inscrite au programme de techniques infirmières du Centennial College. Peu après l’obtention de mon diplôme, j’ai réalisé que je devais poursuivre mes études, alors j’ai commencé le programme de baccalauréat en sciences infirmières à l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario. Je compte obtenir mon diplôme en 2025.

Surmonter les difficultés d’intégration des IFÉ

À la lumière de mon expérience, j’ai identifié les difficultés suivantes à l’intégration des IFÉ dans le système de soins de santé canadien.

Améliorer le processus d’inscription

Le processus d’inscription des IFÉ peut être difficile et accablant. Certains candidats peuvent mettre des années à boucler le processus. Selon le pays d’où l’on vient, l’obtention des documents nécessaires pour satisfaire aux exigences bureaucratiques peut être extrêmement difficile. Par exemple, comme je l’ai découvert, il est très difficile d’obtenir des documents en provenance d’Afghanistan et d’Iran. Les changements de régime en Afghanistan et le manque de collaboration internationale de la part de l’Iran rendent les demandes de documents difficiles, voire impossibles. Les candidats peuvent être confrontés à d’autres obstacles qui les obligent à renoncer à leur demande. Nous devons faire en sorte que d’autres arrangements soient possibles.

Lorsque les IFÉ présentent une demande, il serait avantageux qu’ils puissent être classés comme « étant prêts à intégrer le marché du travail » ou « ayant besoin de plus de soutien ». Je recommande que le Canada mette en œuvre une plateforme en ligne qui note les IFÉ en fonction d’indicateurs prédéfinis, comme première étape du processus d’inscription.

Un tel système a été proposé (p. ex. Institute of Medicine Committee on the Robert Wood Johnson Foundation Initiative on the Future of Nursing, 2011), mais n’a jamais été mis en oeuvre. Avec une telle plateforme, les IFÉ inscriraient leurs renseignements en fonction des indicateurs, et le système les noterait sur leur aptitude à travailler. Les indicateurs seraient conçus sur la base des compétences d’admission dans la pratique. L’objectif est de classer les demandes par ordre de priorité, et non d’évaluer les candidats. De cette façon, les autorités seraient en mesure d’intégrer les IFÉ dans la main-d’œuvre en fonction de leurs capacités et de leur état de préparation, et non selon le principe du premier arrivé, premier servi.

Dans le cadre de la deuxième phase du processus d’inscription, cette plateforme pourrait ensuite être utilisée pour élaborer des programmes d’apprentissage personnalisés, fondés sur les domaines dans lesquels la majorité des IFÉ ont besoin d’aide. Si un candidat n’est pas prêt à intégrer le marché du travail, le système lui indiquerait les prochaines étapes à suivre.

Après avoir analysé les deux phases, des changements de politiques et de pratiques pourraient alors être mis en œuvre comme solution à long terme pour les futurs IFÉ. De cette façon, nous ne compromettrions pas la sécurité des patients en embauchant des IFÉ qui n’ont pas assez confiance en eux pour travailler, et nous ne perdrions pas non plus les ressources humaines dont nous disposons déjà.

Offrir une formation linguistique

Lorsque j’étais bénévole, un patient m’a demandé un « Popsicle », mais je ne savais pas ce que c’était. Une infirmière, en riant, m’a dirigée vers la salle des fournitures. Une autre infirmière m’a dit de lui donner de la « glace concassée » à la place. Je connaissais les mots « glace » et « concassée », mais j’ai été étonnée qu’on me dise de donner de la glace concassée à un patient. J’ai dû découvrir par moi-même ce que signifiaient « Popsicle » et « glace concassée ».

L’apprentissage de l’anglais a été l’une de mes plus grandes difficultés. Les instructions par téléphone pouvaient être particulièrement angoissantes, surtout par rapport aux instructions écrites, que je pouvais étudier de plus près. La barrière de la langue me rendait anxieuse, inquiète et isolée, par exemple lorsque mes collègues discutaient de pratiques infirmières que je ne connaissais pas.

Offrir une formation linguistique, notamment dans la terminologie médicale et la communication en milieu de travail, serait très avantageuse pour les IFÉ et contribuerait à leur intégration harmonieuse en milieu de travail. Par exemple, certaines facultés de sciences infirmières offrent des cours de terminologie médicale en ligne d’un semestre qui peuvent aider les candidats à apprendre la langue nécessaire pour communiquer efficacement dans un milieu médical.

Fournir un soutien à la pratique

Mon expérience de bénévole à la clinique de santé m’a appris que les compétences, les connaissances et le jugement ne sont pas les seules exigences nécessaires pour exercer dans un système de soins de santé en tant qu’IFÉ. J’ai d’ailleurs réalisé l’importance des soins adaptés à la culture, un concept nouveau pour moi, qui a amélioré ma démarche lorsqu’il s’agit de fournir des services à des personnes issues de milieux socioculturels différents.

Bien que les soins infirmiers se prêtent à des pratiques universelles, il est nécessaire que les IFÉ s’adaptent à une nouvelle culture de pratique infirmière. Les IFÉ sont aptes à pratiquer de façon sûre, mais ils ont besoin de temps pour s’adapter à leur nouvel environnement et de coordination, de collaboration et de soutien de la part des gestionnaires et des collègues. L’émission temporaire d’un permis d’exercice est une solution immédiate, mais nous devons déterminer si nous en faisons assez pour aider les IFÉ à réussir leur transition vers le marché du travail. Un programme de mentorat continu, le travail sous la supervision d’une infirmière ou un infirmier autorisé (IA) ou d’une infirmière ou un infirmier auxiliaire autorisé (IAA), la formation en cours d’emploi et l’apprentissage entre pairs sont tous de bons moyens d’y parvenir. Par exemple, les programmes de mentorat officiels pourraient jumeler un soignant compétent avec un apprenant qui a besoin d’aide. Cette pratique est courante aux États-Unis comme démarche stratégique de maintien en poste et de recrutement (Greene et Puetzer, 2002).

S’attaquer à la discrimination

Les IFÉ devraient connaître la marche à suivre s’ils sont victimes de discrimination en milieu de travail, car selon moi plus ils en savent sur les politiques de leur milieu de travail, moins ils risquent de devenir victimes. Les IFÉ devraient également être conscients des préjugés implicites qui peuvent exister en milieu de travail, car certaines formes de discrimination sont insidieuses, mais tout aussi nuisibles que la discrimination ouverte.

Une formation obligatoire à la lutte contre la discrimination pourrait tout changer (Bobek, Maček, Bradler et Horvat, 2018), en permettant au personnel de mieux comprendre les défis auxquels sont confrontés les IFÉ, en favorisant les relations interpersonnelles et une certaine aise en milieu de travail, d’où la compétence, des IFÉ dans leur nouvel environnement.

Il est intéressant de noter que la discrimination peut se présenter sous différentes formes. Comme j’adhère aux principes de la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir (AMM), certains membres de ma communauté me perçoivent comme une mauvaise musulmane, une infidèle ou une « incroyante ». On m’a jugée lorsque j’ai récemment respecté les volontés d’un patient en ce qui concerne l’AMM. Toutefois, ce ne sont pas tous les musulmans qui considèrent l’aide à mourir comme un suicide.

Ce dernier exemple de discrimination tiré de ma propre communauté est une arme à double tranchant. D’une part, c’était blessant, mais d’autre part, cet exemple illustre le privilège de vivre dans un pays où les gens sont libres de s’exprimer.

Le Canada est la terre d’accueil de bon nombre de nouveaux résidents comme moi. C’est un pays où l’on y trouve de la dignité et qui regorge de possibilités et de beautés. Nous sommes fiers de notre nouveau foyer et voulons le rendre meilleur pour chacun d’entre nous. Je crois que nous pouvons tous travailler ensemble pour fournir les soins les plus optimaux possibles. J’ai hâte de continuer à travailler dans le système de soins de santé canadien et je veux aider d’autres personnes à se joindre à l’effectif infirmier. Il est très valorisant de constater que notre travail est autant apprécié et qu’il apporte des changements positifs dans la vie de nombreuses personnes.

Références

Bobek, V., Maček, A., Bradler, S. et Horvat, T. « How to reduce discrimination in the workplace: The case of Austria and Taiwan (R.O.C.) », Naše Gospodarstvo/Our Economy, 64(3), 2018, p. 12–22. doi:10.2478/ngoe-2018-0014M

Greene, M. T. et Puetzer, M. « The value of mentoring: a strategic approach to retention and recruitment », Journal of Nursing Care Quality, 17(1), 2002, p. 63–70. https://doi.org/10.1097/00001786-200210000-00008

Institute of Medicine Committee on the Robert Wood Johnson Foundation Initiative on the Future of Nursing. The future of nursing: Leading change, advancing health. Washington, DC: National Academies Press (US), 2011.

Seah, B., Ho, B., Liaw, S. Y., Ang, E. N. K. et Lau, S. T. « To volunteer or not? Perspectives towards pre-registered nursing students volunteering frontline during COVID-19 pandemic to ease healthcare workforce: A qualitative study », International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(12), 2021, p. 6668. doi:10.3390/ijerph18126668


Zahra Sultani est titulaire d’un diplôme de profession de sage-femme de l’Iran et d’un diplôme en techniques infirmières du Centennial College. Elle est inscrite au baccalauréat du programme de sciences infirmières de l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario.

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