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S’adapter et se débrouiller : les soins infirmiers en milieu rural, une spécialité à part entière

  
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« Nos infirmières et infirmiers savent faire à peu près n’importe quoi », selon Tracy Mitchell.

Par Laura Eggertson
31 octobre 2022
Lauren Billey Creative
« Nous sommes spécialisés dans les soins généraux, dit Tracy Mitchell. Elle est fière de son équipe, disant : « Notre personnel infirmier peut mettre au monde un bébé, est l’équipe d’intervention en cas de code, l’équipe d’administration d’intraveineuse, l’équipe de levage, les pharmaciens après les heures d’ouverture, l’équipe de maintenance et l’équipe de ménage. »

Tracy Mitchell a l’habitude d’être sous-estimée.

En tant qu’infirmière en milieu rural depuis près de 30 ans, elle a vu les centres urbains du Canada, avides de soins de santé, leurrer des infirmières et infirmiers vers des spécialités attrayantes, des hôpitaux universitaires entièrement équipés et les commodités des grandes villes.

Au Canada, comme dans de nombreux autres pays, la proportion d’infirmières et d’infirmiers qui s’occupent de clients en région rurale et éloignée est en baisse. En 2015, un peu moins de 12 % des infirmières et infirmiers s’occupent des 17 % de Canadiens qui vivent dans ces régions, selon l’Institut canadien d’information sur la santé.

Chaque année, moins de diplômés en soins infirmiers sont attirés par des postes en milieu rural, où ils devront se contenter de moins de ressources.

À l’hôpital communautaire de 16 lits que Tracy Mitchell supervise à Claresholm, en Alberta, à environ une heure au sud de Calgary, les seuls outils de diagnostic disponibles sont les radiographies et les tests de laboratoire de base. Jusqu’à tout récemment, le personnel infirmier se contentait d’un système de papier et de crayon et de trois ordinateurs au poste de soins infirmiers.

Il n’y a pas de salles d’opération, d’appareils de tomodensitométrie ou d’imagerie par résonance magnétique (IRM), ou des services d’échographie.

Ce qu’il y a, dit Tracy Mitchell, ce sont des infirmières et infirmiers qualifiés et compatissants avec un large champ d’exercice. Ils sont prêts à faire face à toute maladie ou urgence qui passe la porte.

« Nous sommes spécialisés dans les soins généraux, dit-elle. Notre personnel infirmier sait faire à peu près n’importe quoi. Il peut mettre au monde un bébé, est l’équipe d’intervention en cas de code, l’équipe d’administration d’intraveineuse, l’équipe de levage, les pharmaciens après les heures d’ouverture, l’équipe de maintenance et l’équipe de ménage.

Nous n’avons pas le luxe d’être des spécialistes. »

Ce large éventail de compétences est une force majeure, selon Tracy Mitchell, une force à laquelle trop peu d’étudiants en soins infirmiers sont exposés.

C’est la raison pour laquelle Tracy Mitchell, qui préfère par nature travailler dans l’ombre, s’engage pour que la communauté des soins de santé reconnaisse davantage que les soins infirmiers dans les régions rurales et éloignées constituent une spécialité à part entière. Elle n’est pas prête à être sous-estimée plus longtemps.

Un plus grand nombre de programmes de mentorat, des stages cliniques obligatoires en milieu rural et des stratégies de recrutement et de maintien en poste plus solides en Alberta et au Canada permettraient de rehausser le profil des soins infirmiers en milieu rural, dit-elle.

« Nous devons également accroître la quantité de contenu rural dans la formation infirmière de premier cycle aussi, ajoute Tracy Mitchell.

Nous sommes encore grossièrement négligés et sous-évalués. »

Grandir en milieu rural

Comme la plupart des infirmières et infirmiers des régions rurales et éloignées, Tracy Mitchell a grandi dans des communautés rurales. Elle est arrivée à Claresholm à l’âge de 15 ans, lorsque son père a été affecté au détachement local par la Gendarmerie royale du Canada.

« Je détestais ça, dit-elle en riant. Regardez-moi maintenant. »

Elle s’est découvert une passion pour les soins infirmiers après son premier emploi d’été dans une résidence de soins de longue durée. À ses débuts, elle ne savait même pas comment actionner les freins d’un fauteuil roulant, raconte-t-elle.

Elle a vite appris que le fait d’offrir un verre d’eau à un résident, de lui ouvrir son contenant de jus de fruits ou de prendre le temps de l’écouter « peut apporter beaucoup dans la vie d’une personne. C’est très valorisant », dit-elle.

Aujourd’hui, Tracy Mitchell, âgée de 49 ans, est non seulement gestionnaire sur les lieux à l’hôpital, mais elle supervise aussi le centre de santé communautaire à Nanton, une autre petite ville située à environ 40 km.

Son travail consiste à défendre les intérêts des patients et du personnel. Elle s’assure que les 70 infirmières et infirmiers qu’elle supervise, dont plusieurs sont occasionnels, et les quelque 75 autres professionnels des deux sites offrent des soins sûrs, axés sur le patient et respectent le code de déontologie des services de santé.

Elle encadre les infirmières et infirmiers et travaille avec le personnel, les familles des patients et les communautés pour améliorer les soins et faire preuve d’innovation. Elle recrute et supervise les employés, et assure le suivi des préoccupations des patients.

« Nous avons un niveau de responsabilité plus élevé parce que nous connaissons les gens. »

Elle coordonne avec l’Université de Lethbridge, de la Bow Valley et de Medicine Hat les possibilités de préceptorat ou de mentorat pour les étudiants en sciences infirmières.

Si le personnel a besoin d’un coup de main de plus (le service des urgences ne compte qu’une seule infirmière autorisée), elle apporte son aide dès qu’elle le peut.

Lien communautaire

L’attrait d’être infirmière dans la communauté où Tracy Mitchell a passé ses années d’adolescence réside dans le fait de fournir de soins de haute qualité à des gens qu’elle pourrait rencontrer plus tard à l’épicerie.

« Nous avons un niveau de responsabilité plus élevé parce que nous connaissons les gens, dit-elle. Quiconque se présente, disons qu’il s’agit d’une surdose, peut être notre voisin. Il peut s’agir de notre enfant. En tant que membres du personnel infirmier et fournisseurs de soins de santé, nous ne sommes pas anonymes. »

Ces liens peuvent aussi représenter un défi.

En 2011, un appel d’urgence à l’hôpital au milieu de la nuit a fait chavirer le cœur du personnel infirmier. Deux jeunes adultes blessés par balle étaient en route. Trois autres personnes sont mortes sur les lieux d’une fusillade sur l’autoroute.

« Quand nous entendons qu’un blessé par balle arrive à l’hôpital, la première chose qui nous vient à l’esprit est : Est-ce que ce sont mes amis ou des membres de ma famille? », dit Tracy Mitchell.

Dans ce cas, ni les victimes ni l’auteur du crime n’étaient de Claresholm. Un jeune homme jaloux avait fait sortir de la route une voiture dans laquelle se trouvaient son ex-petite amie et trois de ses amis, alors qu’ils se rendaient à l’aéroport de Calgary. Il les a ensuite tous tués et s’est suicidé.

On a appelé Tracy Mitchell. Son équipe a pu stabiliser l’une des victimes, qui a été transportée à Calgary et a survécu. L’autre est malheureusement décédée en route vers l’hôpital.

« C’était déchirant pour notre personnel, car il s’agissait de jeunes adultes et il est rare que nous soyons témoins de ce genre de violence ou de blessures », explique Tracey Mitchell.

Elle a passé la nuit à soutenir le personnel en service et à assurer la liaison avec les Services de santé Alberta. Plus tard, elle a fait appel à des conseillers pour faire un suivi auprès de son équipe.

Aussi traumatisant qu’ait été l’incident, il a renforcé la fierté de Tracy Mitchell à l’égard de la capacité de ses infirmières et infirmiers à faire face à tout ce qui leur arrive, et de leur volonté d’apporter leur contribution.

Étant donné qu’une seule infirmière travaille normalement au service des urgences, il est difficile de prendre en charge plus d’un patient dans un état vraiment grave, explique Tracey Mitchell. Elle fait appel au personnel des soins actifs pour l’aider.

« Ils ont un grand esprit d’équipe et de collaboration. C’est un environnement familial, ce dont je suis très fière », ajoute-t-elle.

Comme partout ailleurs, la pandémie de SRAS-CoV-2 a mis à rude épreuve les ressources de l’hôpital Claresholm. Initialement, il n’y avait pas de test de COVID dans la communauté, et les gens étaient obligés de se rendre à Calgary ou à Lethbridge pour savoir s’ils étaient positifs.

Les membres de l’équipe de Mitchell ont donc transformé les chambres surchargées en quatre espaces d’isolement. Ils ont également créé un service de prélèvement de COVID au volant.

« C’était un service très apprécié dans notre communauté, dit-elle. Ce n’était pas officiel, notre communauté savait simplement qu’il fallait nous appeler, et nous avons mis des affiches, et le bouche-à-oreille s’est répandu. Nous avons même vu quelqu’un arriver en tracteur à gazon », relate-t-elle en riant.

Bien que Tracy Mitchell soit fière de l’attitude positive de son équipe, elle souhaite que celle-ci dispose de plus de ressources. Elle plaide pour l’acquisition d’un tomodensitomètre et d’un appareil à ultrasons, estimant que ces appareils sont essentiels pour permettre à l’hôpital de servir la population vieillissante de la région.

Pour retenir le personnel infirmier, il faut aussi faire pression pour obtenir plus d’avantages sociaux pour les infirmières et infirmiers qui occupent des postes occasionnels. Comme beaucoup d’autres infirmières et infirmiers oeuvrant en milieu rural, la plupart des membres du personnel de Tracy Mitchell ont d’autres responsabilités dans les ranchs et les fermes, ce qui signifie qu’ils préfèrent travailler à temps partiel ou occasionnellement.

« Si nous disposons de l’autonomie nécessaire pour être créatifs, nous pouvons recruter ou retenir du personnel dans les régions rurales, déclare-t-elle. Nous devons simplement travailler en collaboration avec nos partenaires (dans la communauté et en soins primaires, ainsi qu’avec les établissements postsecondaires et des Services de santé Alberta, et les employés) pour tirer parti de nos forces. »

En plus de profiter de son temps libre avec son mari, Matt, de faire de la planche à pagaie ou de promener leurs chiens, un berger allemand et un Shiba inu et de prendre des nouvelles de ses deux fils adultes, Tracy Mitchell prévoit être une porte-parole solide pour faire avancer les priorités en matière de santé rurale, à l’échelle provinciale et nationale.

« Nous devons travailler à cette fin à l’échelle nationale. Il n’y a pas de solution unique dans le domaine des soins infirmiers en milieu rural. »


Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle-Écosse.
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