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Appel à l’action : défis, dilemmes et solutions pour la prise en charge de la démence dans les établissements de soins actifs

  
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Comment faire passer les « soins axés sur la personne » du statut d’expression à la mode à celui d’action concrète

Par Shrinithi Subramanian & Sadaf Murad Kassam
9 septembre 2024
istockphoto.com/SDI Productions
Les personnes qui se présentent à l’hôpital avec une démence préexistante ont souvent du mal à s’adapter au changement d’environnement, car elles peuvent ne pas être orientées dans leur milieu et même se sentir en danger, ce qui peut entraîner de l’anxiété et de l’agitation.

L’augmentation du nombre de personnes âgées diagnostiquées et vivant avec la démence est alarmante au niveau mondial. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 55 millions de personnes sont atteintes de démence dans le monde, et ce chiffre devrait doubler en 20 ans (OMS, 2023). Cette situation accroît le risque d’hospitalisation et de soins axés sur la démence dans les établissements hospitaliers de soins actifs (Toubøl et coll., 2020).

La prise en charge de la démence dans une unité chirurgicale très affairée peut s’avérer très difficile pour le personnel infirmier, qui doit faire face à un manque de temps et de personnel pour prodiguer des soins axés sur la personne. Les pratiques hospitalières banales et le manque d’expertise en matière de démence créent des obstacles à l’accès aux soins en milieu hospitalier pour les personnes âgées atteintes de démence. Il en résulte des dilemmes personnels et professionnels pour les infirmières et infirmiers, qui s’efforcent de répondre aux exigences de leur travail tout en prodiguant des soins axés sur la personne à leurs patients. Les patients atteints de démence ont besoin du soutien et des soins du personnel infirmier pour s’adapter à l’environnement hospitalier et nécessitent des réorientations fréquentes, qui peuvent parfois être compliquées et provoquer des symptômes comportementaux.

Dans cet article, nous souhaitons faire part de nos dilemmes professionnels et personnels lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins des personnes âgées atteintes de démence en milieu hospitalier.

La démence en milieu hospitalier

La démence peut être une combinaison de divers symptômes qui entraînent une perte de mémoire, compromettent les capacités cognitives et ont un effet sur la capacité globale du sujet à effectuer des tâches quotidiennes simples (Digby, Lee et Williams, 2017; Zhao, Moyle, Wu et Petsky, 2022). Un type courant de démence chez les personnes âgées est la maladie d’Alzheimer, qui est une maladie neurodégénérative (Société d’Alzheimer du Canada, 2021). L’incidence de l’augmentation des cas de démence observés en soins actifs au cours de la prochaine décennie doublera approximativement les coûts annuels des soins de santé par rapport aux deux dernières décennies (Gouvernement du Canada, 2022).

Pourquoi est-il préoccupant de voir des cas de démence dans les hôpitaux de soins actifs? Les personnes qui se présentent à l’hôpital avec une démence préexistante ont souvent du mal à s’adapter au changement d’environnement, car elles peuvent ne pas être orientées dans leur milieu et même se sentir en danger, ce qui peut entraîner de l’anxiété et de l’agitation (Digby et coll., 2017). En outre, les professionnels de la santé spécialisés dans les soins actifs peuvent ne pas avoir l’expertise nécessaire pour fournir des soins axés sur la démence, ce qui peut entraîner de la négligence, des séjours hospitaliers plus longs, l’aggravation des conditions sous-jacentes et même la mortalité (Digby et coll., 2017).

Les « soins axés sur la personne », un concept qui n’en a que le nom?

Dans le cadre de notre expérience en tant qu’infirmières autorisées travaillant avec des personnes atteintes de démence et admises dans les unités chirurgicales des hôpitaux de soins actifs, nous nous demandons si nous respectons le Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés (AIIC, 2017), qui nous tient responsables de représenter la voix des patients, d’aborder les obstacles lorsqu’ils reçoivent des soins, et de leur fournir des soins équitables. Cette question a été pour nous un véritable combat et nous a donné le sentiment qu’en tant qu’IA, nous devons encore acquérir des compétences pour fournir des soins dignes et axés sur la personne aux patients atteints de démence dans les hôpitaux. Les soins axés sur la personne sont un concept important dans les soins infirmiers (OIIO, 2006). Mais dans notre pratique infirmière en milieu hospitalier, nous avons eu l’impression que les « soins axés sur la personne » étaient plutôt une expression à la mode que la mise en pratique réelle de ses principes.

Vous trouverez ci-dessous deux récits d’expériences de patients qui, selon nous, trouveront écho auprès des lecteurs et illustreront pourquoi nous devons prendre des mesures efficaces pour améliorer les soins aux personnes atteintes de démence et établir des relations constructives entre le personnel infirmier et les patients pour les personnes qui ont été longtemps négligées dans notre système de soins de santé.

  • «  En tant qu’infirmière autorisée (IA) nouvellement diplômée, j’ai entrepris ma carrière dans une unité orthopédique très affairée de l’hôpital de l’Université de l’Alberta. J’ai eu l’occasion de travailler avec une femme qui, après une chute, était arrivée dans notre unité en provenance d’un établissement pour personnes atteintes de démence. Pendant son séjour dans notre unité, j’ai souvent remarqué qu’elle devenait très agitée lorsqu’elle était seule dans sa chambre. Je me suis efforcée de comprendre ce que je pouvais faire en tant qu’infirmière pour réconforter cette patiente. En raison de l’activité intense dans l’unité, je m’occupais constamment de différents patients et je n’avais pas l’impression d’avoir suffisamment de temps pour parler avec la patiente et connaître ses centres d’intérêt. Finalement, nous avons commencé à lui faire écouter ses chansons préférées pendant qu’elle était assise près du poste de soins infirmiers, nous avons entamé la conversation avec elle et nous lui avons donné du papier et des crayons pour qu’elle dessine. J’ai remarqué qu’elle réagissait bien à la musique. Elle fredonnait et semblait plus calme et plus posée. C’était une activité qui importait pour elle et qui lui permettait de gérer ses émotions de façon thérapeutique. »
    (Shrinithi Subramanian, inf. aut., unité chirurgicale)
  • « La majorité des patients qui ont des problèmes cognitifs préexistants sont ceux qui ont le plus de mal à se réadapter et à retrouver le mode de vie qu’ils avaient avant leur admission à l’hôpital, surtout les personnes d’origine ethnique. J’ai travaillé avec un patient qui souffrait d’une déficience cognitive très légère et qui s’était présenté à l’hôpital de soins actifs pour subir une intervention chirurgicale à la suite d’une fracture du genou. En raison d’une importante barrière linguistique, le personnel infirmier ne lui consacrait pas beaucoup de temps et le qualifiait de « patient agité ». Heureusement, je parlais sa langue [le gujarati, un dialecte parlé en Inde] et j’ai pu identifier la cause de son agitation. Il ne pouvait pas exprimer ses besoins, comme faire sa toilette, déguster des mets typiques de sa culture ou demander à sa famille de lui rendre visite. Le fait d’avoir une conversation individuelle avec lui m’a permis de mieux comprendre son processus de rétablissement après la chirurgie, comme la prise en charge de la douleur et l’adaptation aux interactions sociales. Même si sa mémoire à court terme n’était pas intacte, il se souvenait de son passé et pouvait identifier ce qui importait pour lui. En tant qu’infirmière autorisée, j’ai eu le sentiment que le fait d’établir un lien avec sa culture et ses expériences de vie en matière de soins pouvait l’aider à se rétablir et à participer à ses soins. »
    (Sadaf Murad Kassam, inf. aut., unité chirurgicale)

En tant que membres du personnel de soins directs, les infirmières et infirmiers passent généralement beaucoup de temps avec les patients, ce qui leur donne l’occasion de défendre leurs droits à accéder à des soins de qualité et d’établir des relations thérapeutiques entre membres du personnel infirmier et patients (Toubøl et coll., 2020). Il incombe donc aux infirmières et infirmiers de plaider en faveur des besoins des patients et de promouvoir les changements essentiels qui améliorent la qualité des soins. En agissant de la sorte, les infirmières et infirmiers peuvent surmonter les obstacles et améliorer la qualité des soins aux personnes atteintes de démence dans les hôpitaux de soins actifs.

Recommandations

Les infirmières et infirmiers doivent reconnaître les obstacles dans le système de soins de santé et réfléchir à ce qu’ils pourraient faire dans leur pratique pour les surmonter, à la fois individuellement et collectivement, pour démontrer leur compréhension des soins axés sur la personne. L’application de stratégies efficaces pouvant être évaluées dans la pratique garantira que les infirmières et infirmiers vont au-delà de leurs attentes de base pour fournir des soins compatissants qui optimisent la qualité de vie d’une personne atteinte de démence.

Créer de meilleurs plans de soins

Dans les établissements de soins actifs, il existe un plan de soins normalisé destiné à répondre aux besoins de la majorité des patients. Il s’agit notamment de la façon dont les patients sont admis dans les unités, de l’emploi du temps qu’ils suivent pendant la journée, des repas qui leur sont servis et de la façon dont ils passent de l’hôpital à leur domicile.

Le fait d’avoir une telle liste de tâches quotidiennes avec des objectifs fixes élaborés pour l’équipe soignante sous-estime le caractère unique de chaque patiente et patient et de ses besoins. Souvent, dans les établissements de soins actifs où le rythme est rapide, la démence est considérée comme une préoccupation secondaire, et l’on ne tient pas suffisamment compte de la manière dont l’état cognitif d’une personne va de pair avec la préoccupation principale qu’elle présente (Digby et coll., 2017). La banalité de l’hôpital détourne l’attention vers l’accomplissement des tâches de soins au lieu d’établir des liens avec les patients et d’identifier leurs besoins ou objectifs en matière de santé.

Pour améliorer les pratiques actuelles, les infirmières et infirmiers autorisés devraient mettre à profit leur expertise en travaillant en étroite collaboration avec les patients pour proposer des initiatives qui favorisent des plans de soins adaptés aux personnes atteintes de démence. Les plans de soins et la coordination des soins pour les patients atteints de démence dans les hôpitaux de soins actifs peuvent être améliorés en connaissant les patients individuellement et en leur permettant d’exprimer ce qu’ils aiment et ce qu’ils détestent, en utilisant une communication thérapeutique avec les patients atteints de démence et leur famille, et en identifiant leurs intérêts ou leurs antécédents culturels (Pritchard et coll., 2021; Toubøl et coll., 2020).

Réorganiser la formation

Pour que le personnel infirmier comprenne vraiment les besoins des patients atteints de démence à l’hôpital et ce qu’ils impliquent, la formation et les compétences en soins infirmiers doivent être améliorés afin de doter les infirmières et infirmiers d’aptitudes et de connaissances essentielles qui favorisent des soins aux patients atteints de démence sûrs, efficaces et axés sur la personne (Digby et coll., 2017; Hung et coll., 2017; Zhao et coll., 2022). La formation en soins infirmiers doit enseigner des stratégies qui favorisent la conscience de soi, la sensibilité culturelle, la défense des intérêts des patients et le leadership. On doit encourager les membres du personnel infirmier et les étudiantes et étudiants en soins infirmiers à réfléchir aux préjugés et aux stigmates personnels et professionnels à l’égard des personnes atteintes de démence et à mettre en œuvre des stratégies dans leur pratique pour atténuer la stigmatisation. L’organisation fréquente d’ateliers ou de séances de formation sur la démence peut aider les infirmières et infirmiers à mettre en pratique ce qu’ils ont appris.

Mieux mettre à contribution le personnel administratif

Les infirmières et infirmiers devraient également travailler en étroite collaboration avec le personnel administratif dans les hôpitaux pour discuter de la façon dont des ressources supplémentaires peuvent être mises en œuvre dans les unités pour améliorer les soins aux personnes atteintes de démence. Par exemple, de nombreux patients atteints de démence et d’origine ethnique ont du mal à exprimer leurs besoins en raison des barrières linguistiques. Ces patients ont des cultures et des traditions uniques qu’ils suivent dans leur vie quotidienne et qui peuvent ne pas être maintenues à l’hôpital.

L’intégration accrue des membres de l’équipe soignante, tels que les traducteurs, les accompagnateurs, le personnel récréatif et les bénévoles, peut permettre aux membres du personnel infirmier de travailler main dans la main pour apporter du réconfort aux patients et veiller à ce que leurs besoins soient satisfaits (Pritchard et coll., 2021). Le recours à ces services sous-utilisés, tels que les bénévoles, peut avoir un effet considérable sur la vie d’une personne, car elle a la possibilité d’avoir des interactions sociales, de bénéficier d’un accompagnement enrichissant et de disposer de suffisamment de temps pour se rétablir dans son nouvel environnement (Pritchard et coll., 2021).

L’accent sur le changement à l’échelle du système

Il ne fait aucun doute que les établissements de soins actifs ont un rythme rapide et comporte une lourde charge de travail, ce qui peut être très stressant pour le personnel infirmier. En plus de faire preuve de compétences pratiques en soins infirmiers, les infirmières et infirmiers sont censés être les porte-parole de leurs patients. Cependant, nous constatons que dans les établissements de soins actifs, la charge de travail du personnel infirmier peut devenir exigeante, ce qui, malheureusement, leur fait perdre la touche humaine des soins. Le manque de temps ou de compétences peut compromettre les soins considérablement. Ces problèmes doivent donc être traités à un niveau systémique.

Bien que les infirmières et infirmiers jouent un rôle crucial pour représenter les patients, les dirigeants en soins de santé et les administrateurs des hôpitaux doivent aussi faire leur part pour attirer davantage l’attention sur les soins axés sur la démence en milieu hospitalier. La mise en œuvre des changements est une responsabilité partagée qui nécessite que la direction collabore afin que le concept de soins aux personnes atteintes de démence devienne une pratique obligatoire pour les fournisseurs de soins de santé et les dirigeants.

Conclusion

Au lieu de considérer la démence comme une simple maladie, les infirmières et infirmiers devraient s’efforcer de valoriser l’identité individuelle » de la patiente ou du patient et de reconnaître ses expériences de vie pendant les soins (Toubøl et coll., 2020). Pour améliorer les soins aux patients, il est nécessaire de poursuivre la formation et la recherche sur le concept de soins aux patients atteints de démence dans les hôpitaux de soins actifs.

Le personnel infirmier et les étudiants en soins infirmiers possèdent les connaissances de base nécessaires pour dispenser des soins axés sur la personne, qui tiennent compte non seulement de la santé physique,mais aussi des besoins mentaux et spirituels. Toutefois, le personnel infirmier et les étudiants en soins infirmiers en pratique clinique ne sont pas bien équipés pour appliquer ces connaissances dans des situations réelles, car ils sont soumis à la pression d’accomplir des tâches infirmières qui concernent principalement la santé physique (Zhao et coll., 2022).

Les recommandations formulées dans le présent article, qui s’appuient sur la littérature et sur nos expériences personnelles, peuvent constituer un premier pas dans la bonne direction vers l’amélioration des soins aux personnes atteintes de démence en milieu hospitalier. Le personnel infirmier et les étudiants en soins infirmiers ont le potentiel de créer des changements productifs au cours de leur pratique. Il est donc temps pour eux de démontrer leur leadership en élargissant leurs connaissances et leurs compétences pour intégrer les soins axés sur la personne pour les cas de démence.

Références

Société Alzheimer du Canada. (2021). What is dementia? Tiré de https://alzheimer.ca/sites/default/files/documents/ASC_What-is-dementia-info-sheet_en.pdf

Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC). Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés, 2017.Tiré de https://www.cna-aiic.ca/fr/soins-infirmiers/les-soins-infirmiers-reglementes-au-canada/ethique-infirmiere

Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario (OIIO). Therapeutic nurse-client relationship, 2006. Tiré de https://www.cno.org/globalassets/docs/prac/41033_therapeutic.pdf

Digby, R., Lee, S. et Williams, A. « The experience of people with dementia and nurses in hospital: An integrative review », Journal of Clinical Nursing, 26(9–10), 2017, p. 1152–1171. doi:10111/jocn.13429

Gouvernement du Canada. Démence : Vue d’ensemble, 4 novembre 2022. Tiré de https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/demence.html

Hung, L., Phinney, A., Chaudhury, H., Rodney, P., Tabamo, J. et Bohl, D. « “Little things matter!” Exploring the perspectives of patients with dementia about the hospital environment », International Journal of Older People Nursing, 12(3), 2017, p. e12153. doi:10.1111/opn.12153

Pritchard, E., Soh, S.-E., Morello, R., Berkovic, D., Blair, A., Anderson, K., … Ayton, D. « Volunteer programs supporting people with dementia/delirium in hospital: Systematic review and meta-analysis », Gerontologist, 61(8), 2021, p. e421–e434. doi:10.1093/geront/gnaa058

Toubøl, A., Moestrup, L., Ryg, J., Thomsen, K. et Nielsen, D. S. « “Even though I have dementia, I prefer that they are personable”: A qualitative focused ethnography study in a Danish general hospital setting », Global Qualitative Nursing Research, 7, 2020. 2333393619899388.

Organisation mondiale de la Santé. Démence, 15 mars 2023. Tiré de https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/dementia

Zhao, W., Moyle, W., Wu, M.-L. W. et Petsky, H. « Hospital healthcare professionals’ knowledge of dementia and attitudes towards dementia care: A cross-sectional study », Journal of Clinical Nursing, 31(13–14), 2022, p. 1786–1799. doi:10.1111/jocn.15590


Shrinithi Subramanian, inf. aut., B. Sc. inf., est infirmière autorisée à l’hôpital de l’Université de l’Alberta.
Sadaf Murad Kassam, inf. aut., B. Sc. inf., M. Nurs., CSIG(C), est étudiante au doctorat à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de l’Alberta et est infirmière autorisée à l’hôpital de l’Université de l’Alberta.

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