https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2025/12/01/i-loved-being-a-full-time-np-but
Comment l’autoréflexion peut être la clé du bonheur en tant qu’infirmière ou infirmier
istockphoto.com/Jacob Wackerhausen
De nombreuses publications ont porté sur la détresse morale et l’épuisement professionnel au sein de la pratique avancée en soins infirmiers.
Si je raconte mon histoire, ce n’est pas pour m’attarder sur les difficultés passées ou pour parler de l’épuisement professionnel et du préjudice moral, qui ont déjà fait l’objet de nombreux débats ces dernières années. Je souhaite plutôt rappeler aux infirmières et infirmiers que notre éthique fondamentale est au cœur de tout ce que nous faisons et pas seulement des compétences que nous déployons, des tâches que nous accomplissons et des quarts de travail que nous assurons. Si, comme moi, vous vous sentez dépassé, j’espère que mon article vous aidera à prendre un peu de recul et vous incitera à vous adapter.
Une pratique très affairée comptant une charge de 700 patients
C’était au début du printemps 2023. Je me suis regardée dans le miroir un mercredi matin, alors que je me préparais pour la journée de travail tout en essayant de préparer mes enfants pour l’école et la garderie.
À l’époque, j’exerçais en tant qu’infirmière praticienne à temps plein dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse, avec une charge de 700 patients. Je me suis littéralement demandé : « Mais, qui est cette femme de l’autre côté du miroir? » J’étais épuisée, physiquement, mentalement et émotionnellement. J’avais passé toute la nuit à penser à la lettre d’orientation que j’avais envoyée la veille pour un patient et je me demandais si elle serait acceptée par une ou un spécialiste. J’avais écrit à quatre spécialistes cette semaine-là qui ont rejeté la demande ou suggéré de la rediriger vers d’autres collègues, sauf un qui a accepté et m’a dit qu’il fallait attendre trois ans avant l’évaluation.
J’étais infirmière en pratique avancée et j’étais fière des relations que j’établissais avec les patients. Je m’efforçais d’être leur fournisseur de soins primaires, ce qui signifiait aussi que je défendais leurs intérêts, que j’étais leur coordonnatrice de soins, leur navigatrice dans le système et leur infirmière praticienne de suivi. Le système était sursaturé à l’époque, et il l’est encore aujourd’hui. Obtenir un rendez-vous avec moi prenait une éternité, ce qui me frustrait et frustrait mes patients.
Les attentes à mon égard et envers mon rôle étaient vagues.
Proposer des rendez-vous le jour même et le lendemain; voir les patients avec rendez-vous; être disponible pour nos collègues en soins infirmiers au besoin; assurer le suivi des examens; vérifier constamment que les orientations vers des spécialistes ont été suivies; remplir tous les dossiers; prendre des pauses; ne pas faire d’heures supplémentaires; encadrer la cohorte étudiante, et la liste n’en finissait pas de s’allonger. On avait l’impression de ne pas avoir assez de temps pour collaborer adéquatement ou pour consulter la littérature médicale. Et si l’on devaitprendre un appel d’une ou d’un collègue, il était difficile de rattraper l’horaire prévu pour le reste de la journée.
Un rythme impossible à suivre
J’avais vraiment l’impression de ne pas pouvoir aller plus vite, de ne pas pouvoir suivre les résultats de laboratoire, les tâches et les rapports entrants qui contenaient de nombreuses suggestions et recommandations à mettre en œuvre, évaluer et analyser. J’étais convaincue de l’importance d’établir et de maintenir des relations thérapeutiques de qualité avec mes patients et leurs familles. J’aimais cette partie de mon travail, mais qui était accaparante en temps pour écouter les préoccupations, les problèmes de santé et les frustrations des patients. Les rencontres avec les patients dans mon bureau, ainsi que l’établissement de leurs dossiers et la défense de leurs intérêts en arrière-plan prenaient du temps.
Mon expérience n’est certainement pas unique. De nombreuses publications ont porté sur la détresse morale et l’épuisement professionnel au sein de la pratique avancée en soins infirmiers. Les chercheurs ont constaté, par exemple, que le manque de temps et la lourde charge de travail sont associés à l’épuisement émotionnel, au cynisme, au pessimisme, et à une réaction désensibilisée et déconnectée des patients et des collègues (Dall'Ora, Ball, Reinius et Griffiths, 2020; Heale, 2025).
J’ai aussi appris que plusieurs membres du personnel infirmier peuvent avoir l’impression que leurs valeurs de prestation de soins entrent en conflit avec les valeurs qui donnent la priorité à la rapidité, ce qui joue une force motrice dans l’épuisement professionnel au sein du personnel infirmier. Je soupçonne que j’étais également en proie à ce problème (Dall'Ora et coll., 2020). Saviez-vous que les infirmières praticiennes qui restent souvent tard pour terminer un travail inachevé sont 20 fois plus susceptibles de souffrir d’épuisement professionnel? (Heale, 2025)
Encore aujourd’hui, je crois que pour vraiment comprendre l’interconnexion des préoccupations des patients en matière de santé et de bien-être, l’écoute est de mise. On doit écouter le récit, poser les bonnes questions et consacrer le temps nécessaire. J’ai toujours constaté qu’en écoutant, la patiente ou le patient et moi-même pouvions élaborer un plan qui donne la priorité à ses préoccupations et aux miennes dans les limites du système de soins de santé. Mais encore une fois, tout dépend du temps. Du temps que j’estimais ne pas avoir, mais que je devais prendre pour mes patients. Je savais que mes patients attendaient des semaines pour me voir, parfois plus d’un mois, mais je savais qu’en ma présence, c’était du temps qui leur était consacré. Du temps pour leurs soins et pour s’exprimer.
Au cours de mes 12 années en pratique infirmière, on m’a dit plus d’une fois : « Tu prends ça trop à cœur. » Était-ce vraiment là mon problème? Et non pas un problème de temps?
Le rôle de l’autoréflexion et de l’éthique
L’autoréflexion a toujours fait partie de ma pratique infirmière. Je m’efforce de placer l’éthique infirmière au premier plan. Je vise à offrir des soins sûrs et éthiques, empreints de compassion et dans la mesure de mes compétences, à promouvoir la santé et le bien-être, à respecter la prise de décision éclairée, à honorer la dignité, à préserver la vie privée et la confidentialité, à promouvoir la justice et à rendre des comptes. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si tout cela n’est pas trop?
Je m’arrête souvent à la théorie des soins de Swanson, qui soulève pour moi la question des soins à l’intention d’une personne plutôt que des soins misant sur la personne. Faut-il que les deux soient alignés pour vraiment orienter le mieux-être et appuyer la guérison? Pour moi, il a toujours été nécessaire de mettre en application les deux principes. Mon moi authentique ne peut pas accepter moins.
Mon absence au travail pendant une journée signifiait que mes patients devaient attendre encore plus longtemps pour me voir. Comme les résultats du laboratoire et la paperasserie continuaient d’arriver en mon absence, j’avais deux fois plus de travail au quart suivant. Parfois, je ne voulais même pas prendre plus de deux jours de congé d’affilée, car le jeu n’en valait pas la chandelle. Je revenais à mon prochain quart et j’étais submergée. Je me précipitais sur l’ordinateur Ies soirs et lors de mes journées de congé, appelant parfois les patients pour leur communiquer des résultats, tâche que je n’avais pas le temps de faire durant les journées affairées à la clinique.
J’avais l’âme et l’esprit en peine. J’avais sincèrement l’impression que les soins dont mes patients avaient besoin étaient hors de ma portée. Les soins que je m’attendais à leur offrir, moralement, éthiquement et professionnellement, me semblaient hors de portée.
Comme de nombreux professionnels de la santé dans le monde, quitter mon poste ou réduire mes heures de travail me semblait être la seule solution (Baugh,Takayesu, White et Raja, 2020). J’ai pris la décision de faire autre chose. J’ai abandonné les soins directs aux patients à temps plein.
Trouver l’équilibre qui me convenait
Avec du recul, je constate que les soins que j’ai offerts étaient effectivement éthiques, sûrs, empreints de compassion et justes, mais j’ai eu l’impression de subir personnellement le plus gros de la tempête. À la fin de l’été 2024, j’ai obtenu un congé de ma pratique de soins primaires à temps plein et j’ai accepté un poste en enseignement clinique.
Cela fait plus d’un que je n’ai pas exercé en clinique à temps plein. Je continue à pratiquer occasionnellement comme infirmière praticienne pour maintenir mes compétences. J’éprouve encore des émotions mitigées face à ce changement, mais je crois que mon esprit se rétablit et que ma passion pour la pratique infirmière, le sens du leadership et la guérison restent ancrés en moi. Je continue de m’en remettre au Code de déontologie, et j’espère que les membres du personnel infirmier trouvent les moyens de traverser la tempête à leur façon.
Il est intéressant de noter que dans mon rôle d’éducatrice clinique, j’ai eu l’occasion d’être parrainée en tant qu’étudiante dans le cadre du programme holistique d’encadrement infirmier proposé par le Canadian Institute of Integrative Nursing Development and Education (CIINDE). Ce programme m’a permis de découvrir mes valeurs, mes croyances et l’importance des soins personnels. Il m’a aidée à comprendre mon propre parcours en soins infirmiers. J’ai acquis des compétences en encadrement infirmier, qui sont profondément ancrées dans ma pratique infirmière, à la fois dans mes rôles de soins directs aux patients et dans la formation clinique, en soutenant les membres du personnel infirmier dans leur propre cheminement de pratique.
Qu’il s’agisse d’épuisement professionnel ou de détresse morale, j’ai réalisé que ce qui importait le plus dans mon cas, c’était ma famille, ma santé et l’équilibre dans ma vie. Travailler à temps plein en tant qu’infirmière praticienne n’était manifestement pas ce qui convenait à ce moment de ma vie. Mais ce le sera peut-être plus tard.
Si votre situation vous dépasse, n’oubliez pas que la profession infirmière est un parcours. Prenez le temps nécessaire pour trouver la voie qui vous convient.
Références
Baugh, J. J., Takayesu, J. K., White, B. A. et Raja, A. S. « Beyond the Maslach burnout inventory: addressing emergency medicine burnout with Maslach's full theory », Journal of the American College of Emergency Physicians Open, 1(5), 2020, p. 1044-1049. https://doi.org/10.1002/emp2.12101
Dall'Ora, C., Ball, J., Reinius, M. et Griffiths, P. « Burnout in nursing: a theoretical review », Human resources for health, 18(1), 2020, p. 41. https://doi.org/10.1186/s12960-020-00469-9
Heale, R. « Exploring prevalence and implications of burnout among nurse practitioners in Canada », European Scientific Journal, ESJ, 37, 2025, p. 391. https://eujournal.org/index.php/esj/article/view/19037
Santina Weatherby, M. Nurs., IP, ÉAD, est infirmière praticienne clinicienne enseignante auprès de la Nova Scotia Health.
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