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Judy Duchscher a entrepris cette initiative en sachant qu’elle « pourrait avoir la possibilité de sauver la vie de quelqu’un d’autre à l’avenir. »
Par Laura Eggertson
23 juin 2025
Dans cette vidéo, filmée en 2004 par Patients pour la sécurité des patients du Canada (anciennement l’Institut canadien pour la sécurité des patients), Judy Duchscher, fondatrice et directrice générale de Préparer l’avenir des soins infirmiers raconte l’histoire du traitement que son père a reçu à l’hôpital. « Je me souviens m’être tenue à son chevet vers la fin … Je devais raconter son histoire et je devais pouvoir changer quelque chose dans le système pour que cette situation ne se reproduise plus. » Elle a fondé Préparer l’avenir des soins infirmiers à la suite du décès de son père.
Il y a plus de 25 ans, Judy Duchscher a pris conscience que les infirmières et infirmiers venant d’obtenir leur diplôme et en début de carrière avaient un urgent besoin d’un soutien supplémentaire, alors qu’elle était au chevet de son père à l’hôpital et qu’elle était témoin des erreurs et des mauvaises décisions qui, selon elle, avaient conduit à son décès.
En 2004, Victor Boychuk, le père de Judy Duchscher, était hospitalisé à Regina après avoir subi une opération pour un cancer de l’intestin.
Judy Duchscher, infirmière expérimentée en soins intensifs, formatrice et spécialiste des programmes de transplantation cardiothoracique, menait des recherches sur l’expérience des infirmières diplômées qui intégraient le milieu hospitalier dans le cadre de son doctorat lorsque son père a été admis à l’hôpital.
Alors qu’elle passait des heures chaque jour à son chevet, elle a observé les nouveaux membres du personnel infirmier en proie au « choc de transition ». C’était le même facteur de stress que les nouvelles infirmières et les nouveaux infirmiers lui décrivaient dans le cadre de ses recherches, et cela affectait les soins offerts à son père. Selon Judy Duchscher, ce stress a contribué au décès de son père.
C’est l’expérience de son père qui a poussé Judy Duchscher à fonder Préparer l’avenir des soins infirmiers. Cette organisation nationale sans but lucratif se consacre à la création d’une culture professionnelle des soins infirmiers et des soins de santé qui soutient les infirmières et infirmiers novices et renforcer leurs aptitudes de leadership.
« J’ai vu mon père passer entre les failles du système de santé », explique Judy Duchscher, professeure agrégée récemment retraitée de l’Université Thompson Rivers, qui poursuit son programme de recherche auprès d’infirmières et d’infirmiers venant de recevoir leur diplôme et dirige Préparer l’avenir des soins infirmiers.
Le calvaire du père de Judy Duchscher a commencé en partie parce qu’il était affaibli et fragile à la suite d’un accident vasculaire cérébral survenu il y a huit ans auparavant. Cela l’a rendu incapable de tolérer la chirurgie visant à traiter le cancer de l’intestin, explique Judy Duchscher.
Le personnel infirmier a été ignoré
Malgré les doutes de Judy Duchscher quant à la réussite de la chirurgie de son père, celui-ci a décidé de la subir. Bien qu’il ait survécu à l’intervention, il est resté dans un état critique, vomissant sans cesse pendant les sept semaines qui ont suivi l’opération, jusqu’à son décès.
Selon elle, les membres du personnel infirmier qui s’occupaient de son père étaient trop occupés ou, dans le cas des novices, n’avaient pas l’expérience nécessaire pour détecter les problèmes qui surgissaient.
Judy Duchscher raconte avoir vu les infirmières et infirmiers novices avoir de la difficulté à évaluer adéquatement les besoins de son père et y répondre avec compassion. « Le taux de potassium de mon père était extrême, mais personne n’a pensé à retirer le potassium de sa perfusion », se souvient-elle.
On a ignoré les membres du personnel infirmier qui ont constaté la détérioration de l’état de M. Boychuk et qui ont tenté d’alerter le médecin, explique Judy Duchscher.
Bien que son père n’ait même pas eu la force de sortir du lit, son chirurgien a ordonné au personnel hospitalier de le faire marcher dans le couloir et personne n’a remis cette décision en question. La faiblesse et la réticence de M. Boychuk à marcher ont conduit le personnel à le qualifier de non coopératif, explique Judy Duchscher.
Un jour, elle est arrivée et a trouvé son père qui marchait accompagné dans les couloirs de l’hôpital, le personnel ignorant manifestement qu’il était en train de faire une crise cardiaque.
« Il avait le souffle court. Il était pâle. Mais il faisait beaucoup d’efforts, raconte-t-elle. Il ne voulait pas que le personnel pense qu’il n’essayait pas. »
En prenant son pouls, Judy Duchscher a constaté qu’il était irrégulier. Elle a réalisé que son cœur battait à un rythme anormal : il était en fibrillation atriale.
« Il y avait des membres du personnel infirmier et une inhalothérapeute à ses côtés, et personne ne s’en est aperçu? Pourquoi? En raison de la conviction qu’il était simplement difficile? », s’interroge-t-elle.
« Personne ne faisait attention à lui. Les membres du personnel infirmier étaient trop occupés à vaquer à des tâches qu’ils n’auraient pas dû faire, comme déplacer des lits dans l’unité pour accommoder les nouvelles patientes et nouveaux patients, ou qu’ils ne se faisaient pas assez confiance pour le faire, comme dans le cas de la nouvelle diplômée qui a été incitée à contester les directives cliniques inappropriées du médecin. »
Judy Duchscher et les infirmières ont ramené son père dans son lit et ont confirmé qu’il était bien victime d’une crise cardiaque. En moins de 48 heures, il était dans le coma. Après une semaine d’interventions infructueuses, Judy Duchscher et sa famille ont pris la décision impensable de cesser le traitement, et Victor Boychuk est décédé.
« Je me souviens qu’alors qu’il était en train de mourir, j’ai juré que je ne remettrais jamais les pieds dans un hôpital. J’étais tellement en colère et tellement déçue par ma propre profession », dit-elle. C’est à ce point qu’elle a commencé à s’interroger sur les aides disponibles pour les infirmières et infirmiers venant de recevoir leur diplôme. « J’ai réalisé que les novices étaient la clé du changement dont nous avions besoin dans la pratique infirmière. »
L’année du décès de son père, Judy Duchscher a lancé Préparer l’avenir des soins infirmiers.
« J’ai voué toute mon énergie à mes étudiantes et étudiants et aux membres du personnel infirmier novices qu’ils étaient devenus », dit-elle.
Son objectif était de soutenir les membres du personnel infirmier, en particulier les novices, et de leur donner la confiance nécessaire pour apporter des changements au sein du système de santé. Ces membres avaient besoin du mentorat et du soutien de leurs collègues en soins infirmiers présentant plus d’expérience.
Judy Duchscher voulait rappeler aux novices de rester fidèles à leurs valeurs et à leurs normes. Sa mission était de convaincre les membres de la direction et de l’administration du secteur de la santé de former ces diplômé(e)s et de les aider à acquérir le mentorat dont ils ont besoin pour réussir.
Taux élevé de départs en soins infirmiers
« Si je trouvais un moyen d’y parvenir, j’aurais peut-être la possibilité de sauver la vie de quelqu’un d’autre à l’avenir, alors que je n’ai pas pu sauver celle de mon père », s’est dit Judy Duchscher.
Des études indiquent qu’entre18 et 30 % des infirmières et infirmiers qui viennent de recevoir leur diplôme quittent leur emploi ou abandonnent complètement la profession au cours de leur première année d’exercice. Ce taux est encore plus élevé au cours de la deuxième année, où 37 à 57 % des novices quittent le secteur.
Le choc de transition, domaine d’expertise de Judy Duchscher, est l’une des principales raisons pour lesquelles la profession infirmière perd de nouvelles recrues. Mais les expériences difficiles auxquelles ces recrues sont confrontées vont souvent au-delà de l’adaptation à la réalité du métier d’infirmière, qui diffère de ce qu’elles ont appris à l’école.
« C’est une intersection entre le type de diplômé(e)s que nous avons aujourd’hui et l’environnement », explique Judy Duchscher.
Les infirmières et infirmiers de la génération Y et de la génération Z intègrent le marché du travail dans un monde incertain, hautement technologique et où le rythme des changements est sans précédent. Si leur choix s’avère être les soins intensifs, ils ou elles se retrouveront aussi dans des hôpitaux surpeuplés, en sous-effectif et débordés.
« Si on ne reste pas à la page et si on n’est pas en mesure de s’adapter à tout, on se retrouve vraiment laissé pour compte, explique Judy Duchscher. Le nouvel univers des novices en soins infirmiers est si instable et change si souvent que les recrues n’ont pas le temps de s’y retrouver avant que tout ait déjà changé. La stabilité, la cohérence, la familiarité et la prévisibilité dont les novices ont besoin pour intégrer toutes les nouvelles connaissances auxquelles elles sont exposées sont constamment perturbées. Si on tient compte de la nature tumultueuse du monde actuel, on comprend pourquoi on les perd : ces personnes recherchent la stabilité et le soutien, et en l’absence de ces aspects, elles se tournent tout simplement vers d’autres horizons. »
La pandémie mondiale a aussi contribué à l’épuisement professionnel et à la détresse morale du personnel infirmier, entraînant la perte de nombre d’infirmières et d’infirmiers en milieu de carrière et d’expérience.
« Avec le départ de tant de membres du personnel infirmier expérimentés, nous avons perdu une grande partie du capital intellectuel de la profession. Sans le transfert de connaissances qui se faisait naturellement lorsque les infirmières et infirmiers chevronnés transmettaient leur expérience à leurs collègues plus jeunes, les novices ont plus de difficulté à se développer sur le plan clinique et professionnel », explique-t-elle.
« Si nous continuons à perdre nos infirmières et infirmiers chevronnés et que nous ne fournissons pas aux novices le soutien et la stabilité recherchée, même en restant en poste jusqu’à cinq ans avant de partir, c’est une tragédie. C’est une question de sécurité des patients », dit-elle.
L’organisation Préparer l’avenir des soins infirmiers vise à inverser cette tendance, en proposant des stratégies et des ressources pédagogiques et professionnelles en milieu de travail, tant aux nouveaux membres du personnel infirmier qu’à celles et ceux qui travaillent à leurs côtés. L’organisation collabore également avec les écoles de sciences infirmières et les employeurs afin de s’assurer qu’ils orientent les novices vers Préparer l’avenir des soins infirmiers.
« Je veux donner à ces novices les moyens de conserver leurs acquis, de défendre leurs intérêts et de s’exprimer, explique-t-elle. « Elles et ils doivent se faire confiance pour pouvoir s’exprimer. Le fait d’intégrer le monde professionnel et ne pas pouvoir exercer le métier conformément aux normes apprises est démoralisant. Ce type de culture produit des infirmières et infirmiers qui se sentent incapables de s’exprimer. »
L’initiative Stormchaser est l’un des projets de Préparer l’avenir des soins infirmiers, que Judy Duchscher espère lancer à titre expérimental l’an prochain. Pour ce faire, elle a besoin d’un soutien financier durable de la part de la communauté des soins infirmiers et des soins de la santé.
« Il est toujours difficile d’obtenir des fonds pour des initiatives locales comme celle-ci » dit-elle, mais elle explique que ces programmes traitent des problèmes les plus intimement liés à la prestation des soins.
Dans le cadre du programme de certification Stormchaser, les infirmières et infirmiers ayant au moins un an d’expérience seraient formés pour reconnaître et atténuer les effets du stress lié à la transition chez les étudiantes et étudiants venant d’obtenir leur diplôme et pourraient aider les nouveaux membres du personnel infirmier à gérer les conflits et le chaos.
Renforcer le soutien
Idéalement, les hôpitaux ou autres établissements de soins de santé devraient financer la formation Stormchaser et la mettre à la disposition des nouvelles et nouveaux diplômé(e)s qui sont en proie au stress, explique Judy Duchscher.
« La formatrice ou le formateur du programme Stormchaser serait en lien avec la diplômée ou le diplômé et l’aiderait à surmonter ces difficultés, en assumant un rôle de médiation entre l’unité, le ou la gestionnaire, la personne formatrice et la ou le novice », imagine Judy Duchscher.
Les formatrices et formateurs Stormchaser travailleraient avec les gestionnaires et les membres du personnel expérimentés pour les aider à déterminer comment intervenir afin de faciliter la transition et résoudre les problèmes systémiques.
Les nouvelles et nouveaux diplômé(e)s deviendraient à leur tour des formatrices ou formateurs du programme Stormchaser, ce qui permettrait de constituer des unités au sein desquelles les infirmières et infirmiers comprennent le choc de la transition et peuvent soutenir de façon éclairée les novices, explique Judy Duchscher.
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les décideurs politiques en soins de santé, les administrateurs et gestionnaires d’hôpitaux accordent une plus grande attention aux expériences de transition des nouveaux membres du personnel infirmier, note-t-elle.
Elle souligne la tendance vers des initiatives de « mentorat clinique » et espère que davantage de provinces et d’établissements de soins de santé adopteront cette stratégie consistant à embaucher des infirmières et infirmiers en milieu de carrière ou d’expérience pour servir de mentors. Ces infirmières et infirmiers ne sont pas tenus de prendre en charge des patients, mais seraient simplement là pour guider, encadrer et soutenir les infirmières et infirmiers novices et en début de carrière.
Ayant récemment passé un mois à travailler avec l’Université de l’Australie du Sud pour optimiser leurs mesures de soutien à la transition, Judy Duchscher a salué leur programme « Wisdom at Work », qui recrute des infirmières et infirmiers à la retraite comme mentors. (Pour plus d’information, veuillez communiquer avec Marion Eckert, directrice du Rosemary Bryant AO Research Centre, par courriel à marion.eckert@unisa.edu.au.)
« Ces mentors soutiennent les membres du personnel infirmier novice et en début de carrière, et servent d’experts en soins cliniques, ce qui nous manque », explique Judy Duchscher.
Lorsqu’elle n’élabore pas de moyens créatifs pour soutenir et encadrer les infirmières et infirmiers novices, Judy Duchscher consacre son énergie à sa santé et à sa forme physique, passe du temps avec son mari, Glen Morris, prend des cours de danse et de yoga, et fréquente ses ami(e)s.
Peu importe ce qu’elle fait dans sa carrière, Judy Duchscher affirme que sa passion pour l’enseignement fera toujours partie de sa vie, une quête qui, elle l’espère, aurait fait la fierté de son père, professeur de chimie et de physique au secondaire.
Judy Duchscher croit que ses recherches et son organisation améliorent les conditions de vie. Elle espère que leur effet durable permettra aux novices ayant tout juste obtenu leur diplôme en soins infirmiers d’obtenir l’aide et les ressources dont elles et ils ont besoin pour s’épanouir dans une carrière durable en soins de santé.
Préparer l’avenir des soins infirmiers est soutenu par la Fondation des infirmières et infirmiers du Canada et l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, ce qui donne à Judy Duchscher de grands espoirs pour l’avenir.
« La plupart des enseignantes et enseignants et des personnes qui soutiennent les novices dans les milieux de travail aujourd’hui connaissent Préparer l’avenir des soins infirmiers et savent où orienter les diplômé(e)s, dit Judy Duchscher. La situation s’améliore. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle-Écosse.
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