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Le projet M.A.I.N. associe le personnel novice aux ressources et au personnel infirmier d’expérience
Par Jennifer Pierre & Sophie Alaurent
7 juillet 2025
istockphoto.com/miodrag ignjatovic
En effet, les écrits scientifiques recensés suggèrent que, peu importe le type de soutien, il est important que les organisations de santé investissent dans l’aide à la transition des infirmières et infirmiers qui viennent de recevoir leur diplôme.
Messages à retenir
- Au cours des étés 2021 et 2022, la direction des soins infirmiers du CHUM a mis sur place un projet estival de soutien clinique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
- L’objectif principal du projet était d’offrir de l’aide à la transition aux infirmières et infirmiers novices du CHUM.
- Le soutien clinique estival était offert par des pairs qui ont documenté leurs interventions tout au long du projet.
Introduction et contexte
À la suite d'un parcours académique durement affecté par la pandémie de COVID-19 en raison de stages cliniques annulés et remaniements pédagogiques, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) a mis sur pied pour la première fois, de juillet 2021 à septembre 2022, un projet collaboratif pour soutenir les recrues en soins infirmiers. Plus précisément, le projet M.A.I.N. est un ensemble de Mesures d’Accompagnement pour les Infirmières et infirmiers, infirmières et infirmiers auxiliaires1 et externes en soins infimiers2 Novices visant à rehausser le soutien clinique durant la période estivale. En effet, les écrits scientifiques recensés suggèrent que, peu importe le type de soutien, il est important que les organisations de santé investissent dans l’aide à la transition des infirmières et infirmiers qui viennent de recevoir leur diplôme (Edwards et coll., 2018).
L’objectif principal était d’offrir aux recrues, de l’aide pour développer leurs compétences mais aussi pour vivre une transition réussie du milieu académique vers le milieu clinique. Le choc de la transition, aussi appelé « choc de la réalité », est un phénomène connu à travers les écrits pédagogiques infirmiers et est reconnu pour générer du doute, du stress, de la perte de confiance en soi ainsi que de l’épuisement émotionnel et professionnel chez les recrues en soins infirmiers, et ce, jusqu’à deux ans après leur arrivée sur le marché du travail (Charette et coll., 2020). Cette transition peut toutefois être grandement influencée par des stratégies de soutien clinique, notamment par l’intervention des pairs. La mise en place de ces stratégies augmenterait la satisfaction au travail, la qualité des soins ainsi que la rétention du personnel (Roy et Robichaud, 2016). C’est donc dans ce but que du soutien individualisé supplémentaire a été planifié au sein de notre centre hospitalier universitaire au courant de l’été 2021.
Parcours à l’embauche
Le parcours habituel d’une nouvelle recrue en soins infirmiers commence par une semaine de formation générale à l’embauche avec des thématiques transversales telles que l’administration sécuritaire des médicaments ou l’organisation du travail. Elle reçoit ensuite une orientation pratique de quinze jours dans une unité de soins, qui peut être ajustée selon le développement de ses compétences. Selon son titre d’emploi, elle reçoit une formation particulière selon la spécialité clinique dans laquelle elle exercera. Habituellement, le CHUM accueille une soixantaine de recrues par mois. Entre mai et juillet 2022, l’embauche était estimée à 193 infirmières et infirmiers, infirmières et infirmiers auxiliaires et externes en soins infirmiers.
Tout au long de l’année, l’équipe de conseillères et conseillers en soins infirmiers (CSI) du CHUM offre un accompagnement personnalisé auprès du personnel en soins infirmiers durant la période de transition études-travail. Toutefois, en raison des périodes de vacances et de postes de CSI de soir et de nuit qui n’étaient pas tous comblés, il était primordial de maintenir une offre de soutien aux recrues. Il fallait trouver des solutions innovantes pour répondre à cette situation et à nos inquiétudes liées au manque d’exposition des étudiantes durant la pandémie afin d’assurer la sécurité de la clientèle. Le projet M.A.I.N. sous forme de soutien individualisé s’est avéré être une solution idéale à tout cela.
Points saillants
- Création d’une brigade d’infirmières ressources cliniques 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 durant la période estivale.
- Documentation de chaque intervention avec un questionnaire Forms pour objectiver les besoins des demandeurs.
- Utilisation d’une application de communication (Microsoft Teams) pour faciliter les échanges et documenter les interventions.
Mise en œuvre
Initialement, nous avons profité de la baisse d’activité dans le secteur des soins critiques en raison d’une diminution des chirurgies facultatives et de la période de vacances du personnel infirmier et médical pour libérer des infirmières et infirmiers ressources cliniques3 (IRC) disponibles et volontaires à s’engager dans le soutien et le développement des compétences de la relève infirmière. Une équipe de projet a travaillé pendant trois semaines afin de mettre en œuvre le projet M.A.I.N.
Cela a mené à la création d’une brigade composée d’une trentaine d’IRC recrutés majoritairement dans le secteur des soins intensifs. Ces infirmières et infirmiers devaient être reconnus pour leurs compétences cliniques, avoir une ancienneté de plus d’un an, de l’expérience en préceptorat, avoir suivi au préalable les formations de préceptorat offertes par le CHUM et, enfin, devaient être recommandées par leur gestionnaire.
Une fois les IRC identifiées, une formation de huit heures, des séances d’encadrement personnalisé et des outils leur ont été donnés pour permettre à ces infirmières et infirmiers d’accompagner les recrues dans le développement de leurs compétences (voir encadré). Sous la supervision des CSI, une application de communication (Microsoft Teams) a été utilisée par la brigade pour faciliter les échanges et assurer la documentation des suivis effectués. De plus, à la suite de chacune des interventions planifiées, demandées ou ponctuelles, chaque IRC documentait des éléments précis à l’aide d’un questionnaire en ligne Forms (p. ex. l’unité visitée, le type d’aide offerte, le titre d’emploi, etc.).
Ces données permettaient ensuite de bien comprendre les besoins des recrues en soins infirmiers afin de les communiquer aux différentes parties prenantes, mais servaient aussi à justifier la pertinence du projet et à ajuster la formation d’accueil selon la nature des demandes ou lacunes observées.
Thématiques de la formation
- Présentation du projet et des outils de travail et de communication
- Organisation d’un quart de travail
- Éléments-clés pour le soutien aux unités de soins non critiques
- Astuces en matière d’encadrement et méthodes de rétroaction
- Mises en situation
Outils
- Liste et coordonnées des personnes-ressources
- Liste des spécialités par étage
- Plan d’un quart (document pour organisation de l’équipe des IRC)
- Feuille de route quotidienne (document individuel pour notes)
- Tableau de rapport de suivi des compétences et de soutien
- Banques de questions et de stratégies de soutien clinique
- Logiciel interne de suivi dynamique des ressources humaines
- Grille d’observation et de debriefing pour situation critique
Le projet M.A.I.N. a été déployé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans toutes les unités de soins. La brigade d’IRC pouvait être rejointe à l’aide d’un téléphone mobile et les IRC effectuaient des tournées systématiques sur les différentes unités de soins en débutant par les unités plus fragiles ou avec plus de recrues afin de permettre au personnel infirmier de solliciter une assistance immédiate.
Cette initiative a été soutenue par notre direction des soins infirmiers et l’offre de service a été diffusée par l’équipe des communications du CHUM grâce à une vidéo promotionnelle et des notes internes aux équipes de soins.
Résultats
Au cours de ces deux étés de projet, nous avons pu comptabiliser respectivement près de 700 interventions réalisées dans les 20 unités de soins du CHUM. Initialement, l’objectif était d’accompagner les recrues en soins infirmiers, mais d'autres membres de l’équipe ont également fait appel à ce soutien, par exemple, les infirmières compant moins de 2 ans d’expérience et des infirmières et infirmiers ayant plus d’expérience. Les interventions effectuées par les IRC ont principalement touché l’organisation du travail, l’exécution de méthodes de soins et la communication orale ou écrite (voir encadré). Considérant que ces trois types d’interventions sont liées à la qualité des soins offerts aux patients, nous pensons que le rehaussement du soutien clinique offert par l’équipe M.A.I.N. a contribué à améliorer celle-ci.
Exemples d’interventions
- Organisation du travail
- Tournée d’observation et rétroaction
- Aide pour conception et utilisation du plan de travail quotidien
- Méthode de soins
- Accompagnement pour l’exécution lors d’une première fois (p. ex. le retrait d’un dispositif d’accès vasculaire central intraveineux)
- Aide à la compréhension ou en cas de complications (p. ex.l’interprétation de la surveillance d’un boîtier de drainage thoracique)
- Communication
- Écoute et encadrement pour les rapports interservices
- Consultation pour la lecture de dossier
- Soutien lors de la rédaction des notes infirmières
- Soutien relationnel
- Écoute active et soutien moral lors de situation de stress
Des sondages de satisfaction ont également rapporté des résultats très positifs autant de la part des équipes de soins, des recrues en soins infirmiers, des IRC, des gestionnaires et des CSI. Parmi ces résultats, il a été soulevé que le projet M.A.I.N. a permis de consolider les compétences des recrues et de diminuer leur stress. De plus, dans le sondage destiné aux équipes de soins et aux recrues, 75 % des répondantes et répondants ont mentionné que l'intervention de l'IRC répondait toujours à leurs besoins. Enfin, les témoignages recueillis exprimaient une appréciation du soutien offert dans des situations de soins plus complexes, un sentiment de confiance accru lors de l’intégration dans le milieu hospitalier, une impression d’être utile au soutien de la relève infirmière et une reconnaissance d’avoir un accompagnement supplémentaire pour les équipes (voir encadré).
Témoignages recueillis
- Infirmière d’expérience au sein d’une unité :
- « Cela permet un soutien technique, mais surtout une écoute pour des difficultés et une rassurance par leur disponibilité. Merci! »
- Jeune infirmière débutant au CHUM :
- « Elles m’ont donné de l’information sur des soins avec lesquels j’étais moins familière et ça m’a tout de suite mise plus en confiance. »
- Infirmière ressource clinique :
- « J'ai vraiment eu l'impression d'être utile aux recrues. »
- Gestionnaire d’unité :
- « À de nombreuses reprises, mes équipes ont fait appel au projet M.A.I.N. et ont reçu le soutien nécessaire. Cela a un très grand avantage sur les quarts de soir et de nuit, mais aussi pour celui de jour où la ou le CSI n'est pas toujours en mesure de répondre aux besoins. »
Malgré ces résultats et témoignages positifs, il est toutefois difficile d’établir un lien de cause à effet entre le projet M.A.I.N. et la rétention du personnel en soins infirmiers. Cependant, nous avons pu observer que le taux de départs du CHUM est demeuré stable à la fin du projet à chaque année.
Devant le succès répété de ces deux étés, la direction des soins infirmiers, le Conseil des infirmières et infirmiers (CII)4 et les équipes de soins ont alors émis la recommandation de pérenniser le projet M.A.I.N. durant la période estivale.
Leçons apprises
En définitive, le projet M.A.I.N. semble donc démontrer des bénéfices pour les équipes et apparaît comme une stratégie à répéter chaque année. Toutefois, après l’été 2021 et 2022, nous avons apporté quelques modifications afin d’améliorer certains éléments de planification et d’exécution.
Plus précisément, le nombre d’IRC est passé d’une trentaine à une dizaine afin de maintenir une continuité dans l’équipe de soutien et les liens de confiance avec les différents collaborateurs et les recrues. Le processus de recrutement a été révisé afin de cibler les mêmes IRC d’un été à l’autre et de faciliter le suivi et l’évaluation des recrues dont sont responsables les CSI. La formation des IRC a été bonifiée pour les préparer davantage au rôle de soutien attendu dans les unités de soins. De plus, la documentation des suivis et les modalités de communication avec les CSI sera optimisée afin d’être plus efficaces.
Enfin, dans le but de maximiser les données recueillies lors des interventions, nous pourrons les analyser pour apporter des ajustements aux parcours de formation à l’embauche. Par exemple, les notions enseignées sur la thérapie intraveineuse et l’installation du dispositif d’accès veineux central pourront être approfondies.
Recommandations
Les résultats du projet M.A.I.N mettent en évidence la pertinence de rehausser le soutien clinique dans les organisations de santé lors de périodes d’embauches estivales. Nous recommandons que les milieux cliniques adaptent leurs attentes et stratégies de soutien auprès des infirmières débutantes dans le contexte où ces dernières sont en transition dans leur nouveau rôle de soignante. Par conséquent, il est suggéré aux organisations de santé de déployer des ressources cliniques 24h sur 24 et 7 jours par semaine pour soutenir la relève infirmière, afin de favoriser son intégration dans les milieux cliniques, avec confiance et compétence.
Conclusion
Alors que le projet M.A.I.N. en soutien clinique a fait l’objet d’une réflexion et a été déployé dans un contexte post-pandémique, il devra toutefois répondre aux besoins évolutifs des recrues et des novices en soins infirmiers. Ce projet continuera d’évoluer afin de répondre aux besoins organisationnels. Par exemple, il serait intéressant dans l’avenir d’analyser s’il existe une corrélation entre le soutien offert durant la période estivale et la réussite de la période d’intégration au CHUM ou encore, de l’examen d’entrée à la profession exigé par l’OIIQ.
Remerciements
Les gestionnaires et les IRC des équipes des soins critiques et tous nos collaborateurs de proche et de loin qui ont permis la réalisation de ce projet.
Références
Charette, M., Goudreau, J. et Bourbonnais, A. « Soutenir les infirmières nouvellement diplômées : Une résidence en soins infirmiers? », Perspective infirmière, 17(5), 2020, p. 54-59. https://www.oiiq.org/w/perspective-infirmiere/PI-vol17-no-5.pdf#page=54
Edwards, D., Hawker, C., Carrier, J. et Rees, C. « A systematic review of the effectiveness of strategies and interventions to improve the transition from student to newly qualified nurse », International Journal of Nursing Studies, 52(7), 2015, p. 1254-1268. https://doi.org/10.1016/j.ijnurstu.2015.03.007
Roy, J. et Robichaud, F. « Le syndrome du choc de la réalité chez les nouvelles infirmières »,. Recherche en sons infirmiers, 127, 2016, p. 82-90. https://doi.org/10.3917/rsi.127.0082
1 Infirmière ou infirmier auxiliaire : professionnel de la santé qui détient un diplôme d’études professionnelles en santé, assistance et soins infirmiers (SASI) et contribue à l’évaluation de l’état de santé et à la réalisation des plans de soins des patient(e)s en collaboration avec d'autres professionnel(le)s de la santé, dont principalement l’infirmière ou l’infirmier (https://www.oiiaq.org/profession/developpement-de-la-pratique-professionnelle).
2 Externe en soins infirmiers : étudiant(e) en soins infirmiers ayant complété et réussi les deux premières années en soins infirmiers au niveau collégial ou un an ou plus en sciences infirmières au niveau universitaire (https://www.oiiq.org/acceder-profession/parcours-etudiant/externat/conditions-d-exercice).
3 Infirmière ou infirmier ressource clinique : infirmière ou infirmier titulaire d’un poste qui est réaffecté à de nouvelles fonctions afin d’agir à titre de modèle et de soutenir les équipes de soins dans le développement de leurs compétences. Ce rôle est spécifique au projet M.A.I.N. ou aux unités de soins.
4 Conseil des infirmières et infirmiers (CII) : instance consultative officielle prévue par la Loi sur les services de santé et les services sociaux et qui s'intègre à la structure organisationnelle des établissements publics de santé. Les interventions du CII permettent de faire valoir la contribution unique des infirmières et infirmiers à l'efficacité des soins de santé.
Jennifer Pierre inf., M. Sc. inf., dirige le service d’accueil, d’orientation et d’intégration de la direction des soins infirmiers du CHUM.
Sophie Alaurent, inf. clin., B.Sc., est infirmière conseillère en soutien clinique (quart de soir), à la direction des soins infirmiers du CHUM et est conseillère au comité exécutif du conseil des infirmières et infirmiers (CECII) du CHUM.
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