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« Détresse morale » d’une infirmière en gérontologie au croisement de sa vie professionnelle et personnelle

  
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mars 01, 2021, Par: Laura Eggertson
a woman standing with a man in a wheelchair and a headshot of Lori Schindel Martin (right)
Avec la gracieuse permission de Lori Schindel Martin et istockphoto.com/fredfroese
« Je suis extrêmement fière des nombreux infirmiers et infirmières que je connais dans tout le pays et qui travaillent dans le secteur des soins de longue durée durant la pandémie », mentionne Mme Schindel Martin.

Alors que la COVID‑19 sévit toujours dans le système de soins de longue durée de plus en plus fragile au Canada, les univers personnel et professionnel de Lori Schindel Martin, infirmière chercheuse spécialisée dans les soins aux aînés, se sont heurtés.

Mme Schindel Martin, professeure à l’école des sciences infirmières Daphne Cockwell de l’Université Ryerson, a enseigné et a travaillé avec une équipe durant une grande partie de la pandémie pour sonder plus de 150 infirmières et infirmiers ontariens sur leur travail en soins réalisé auprès de personnes âgées atteintes de la COVID‑19, de démence et d’autres problèmes médicaux influençant à la fois leur santé et leur indépendance.

Au fur et à mesure que les réponses arrivent, elle analyse aussi les déclarations du personnel infirmier sur leur façon de gérer le stress.

Mme Schindel Martin lit les récits d’infirmières et d’infirmiers qui manquent de temps pour expliquer aux membres de la famille agités les répercussions de l’état de leurs proches. Ces membres de la profession infirmière ont également de la difficulté à communiquer avec les aînés souffrant de troubles visuels ou auditifs, qui ne peuvent pas lire sur les lèvres ou voir clairement les expressions faciales à travers les visières et les masques.

Le personnel infirmier ne peut plus obtenir de renseignements essentiels sur les antécédents familiaux ou établir de liens culturels avec les résidents des établissements de soins de longue durée, car les membres de la famille sur lesquels le personnel infirmier comptait pour traduire les propos ou apaiser l’anxiété de leurs proches aînés ne sont plus autorisés à leur rendre visite en personne.

Headshot of Lori Schindel Martin
Avec la gracieuse permission de Lori Schindel Martin
La belle mère de 86 ans de Mme Schindel Martin, Connie Martin (ci-dessus), éprouve de la difficulté à utiliser le téléphone ou une tablette électronique pour communiquer avec la famille. Le personnel responsable des loisirs de l’établissement où elle demeure tente de l’aider en lui montrant des extraits vidéo des premiers pas de son arrière-petit-enfant.

Au fil de sa lecture des témoignages d’infirmières et infirmiers, Mme Schindel Martin ressent la même détresse qu’un membre de la famille. Sa belle‑mère de 86 ans s’enlise plus profondément dans la démence dans une résidence de soins de longue durée à Niagara, en Ontario, où les restrictions liées à la COVID‑19 empêchent Lori Schindel Martin et David Martin, son époux, de lui rendre visite en personne.

Détresse morale

« Les fournisseurs de soins de santé formés et compétents qui travaillent au chevet des personnes âgées ressentent une grande détresse morale », déclare-t-elle de son domicile à Hamilton, en Ontario.

« Les infirmières et infirmiers sont plutôt résilients, mais ils ont été très fortement ébranlés, puisqu’ils ont constaté la souffrance des patients dans ce processus ».

Le fait de ne pas pouvoir réconforter les résidents par une étreinte ou un contact physique entraîne de la détresse chez les infirmières et infirmiers. Ils doivent observer les allées-venues des personnes atteintes de démence vers des lieux peu familiers pour le prélèvement par écouvillonnage en vue de détecter la COVID-19.

Ils tentent de rassurer les aînés qui sont terrifiés en présence de personnes inconnues vêtues d’un équipement de protection individuelle bleu.

« Je suis extrêmement fière des nombreux infirmiers et infirmières que je connais dans tout le pays et qui travaillent dans le secteur des soins de longue durée durant la pandémie. Ils déploient d’immenses efforts pour assurer la sécurité des aînés et de leurs familles et leur permettre de rester en contact, malgré la nécessité de l’isolement social », mentionne Mme Schindel Martin.

Mais, ces conditions pèsent lourd sur le personnel infirmier et les autres professionnels de la santé œuvrant dans le milieu des soins de longue durée, explique Mme Schindel Martin, qui est également présidente de l’Association canadienne des infirmières et infirmiers en gérontologie.

Pour réduire leur stress, les infirmières et infirmiers ont recours à des ressources en santé mentale disponibles en ligne, notamment la thérapie cognitivo-comportementale. Pendant les quarts de travail, ils essaient de prendre des pauses pour manger, boire de l’eau, respirer profondément et s’étirer.

Stress personnel

« Il s’agit vraiment de techniques de survie », indique Mme Schindel Martin.

La négligence désormais documentée des aînés dans les établissements de soins de longue durée à l’échelle du Canada durant la pandémie, comme l’abandon de personnes âgées à la résidence Herron à Dorval, au Québec, a non seulement attristé, mais également fâché Mme Schindel Martin.

Mme Schindel Martin ressent leur stress et leur douleur à un niveau profondément personnel. Sa belle‑mère, Connie Martin, qu’elle connaît depuis qu’elle a 17 ans, éprouve de la difficulté à utiliser le téléphone ou une tablette électronique pour communiquer avec la famille. Le personnel responsable des loisirs de l’établissement où elle demeure tente de l’aider en lui montrant des extraits vidéo des premiers pas de son arrière-petit-enfant.

Mais, ces interventions ne peuvent pas remplacer les visites de Lori Schindel Martin et de son époux. Malgré les bonnes intentions du personnel soignant, celui-ci ne peut pas établir de lien avec Connie en lui apportant de la soupe au poulet hongroise csirke leves, avec des nouilles csiga en forme de vis fabriquées à la main, qu’elle cuisinait autrefois. Ils ne peuvent pas lui parler des biscuits kifl parfaits, faits d’une pâte tendre et feuilletée farcie de confiture de prunes ou de noix moulues et saupoudrée de sucre, qu’elle avait l’habitude de concocter.

L’isolement pèse lourd sur Connie, qui a cessé de les appeler par leur nom lorsqu’ils se parlent, selon Mme Schindel Martin.

Cette séparation atteint également Mme Schindel Martin – tout comme sa conscience de la souffrance des personnes âgées et du personnel infirmier qui l’entourent. Elle y fait face en respirant profondément, en lisant et en chantant parfois au sein de la chorale virtuelle créée par l’une de ses collègues de l’Université Ryerson.

La négligence désormais documentée des aînés dans les établissements de soins de longue durée à l’échelle du Canada durant la pandémie, comme l’abandon de personnes âgées à la résidence Herron à Dorval, au Québec, a non seulement attristé mais également fâché Mme Schindel Martin.

Elle est irritée par la réaction de certaines provinces, y compris celle de l’Ontario, de proposer l’embauche d’aides‑soignants résidents, plutôt que suffisamment d’infirmières ou d’infirmiers compétents et formés qui peuvent constamment observer, évaluer et réagir face aux problèmes de santé et aux besoins multiples des patients âgés.

Personnel infirmier compétent

« Certaines résidences de soins de longue durée embauchent des gens au hasard et les forment sans aucun enseignement normalisé », selon Mme Schindel Martin.

« L’acuité, en plus de la chronicité, des aînés dans chaque maison de soins infirmiers au Canada est telle que du personnel formé est nécessaire qui peut exercer selon les normes de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC) et selon l’examen de certification en soins infirmiers en gérontologie », explique-t-elle.

Un grand nombre d’infirmières et d’infirmiers membres de l’Association canadienne des infirmières et infirmiers en gérontologie ont reçu une formation sur les approches douces et persuasives, une méthode de soins destinée aux patients atteints de démence qu’enseigne Mme Schindel Martin. Ces infirmières et infirmiers sont formés pour distinguer le délire, la dépression et la démence.

Mme Schindel Martin estime qu’avec l’équipement de protection individuelle et la formation appropriés, les aidants familiaux pourraient travailler en toute sécurité durant la pandémie.

Ils peuvent repérer des interactions entre les médicaments. Souvent, ils font en sorte que les visites à l’urgence soient évitées en administrant de l’oxygène, en utilisant des oreillers inclinés et en fournissant des inhalateurs et des soins de confort.

Toute cette formation, et bien plus encore, fait partie de la formation des infirmières et infirmiers en gérontologie, ce que ne réalisent pas les décideurs politiques et le public, selon Mme Schindel Martin.

Société âgiste

Selon Mme Schindel Martin, la pandémie a révélé le phénomène d’âgisme au sein de la société canadienne.

« Notre société fait tellement preuve d’âgisme que nous croyons que la prestation de soins à nos personnes âgées est une mince entreprise », affirme Mme Schindel Martin. « Les résidents des établissements de soins de longue durée souffrent de maladies et d’états de santé complexes qui nécessitent une évaluation tout aussi complexe. Cela m’exaspère. Le gouvernement n’est certainement pas à l’écoute. »

Plutôt que d’embaucher des préposés non formés, Mme Schindel Martin propose d’offrir une formation et une rémunération aux membres de la famille qui savent déjà comment s’occuper de leurs proches pour travailler dans les résidences de soins de longue durée, soit aider le personnel infirmier et les préposés aux bénéficiaires.

Elle cite l’exemple de Kensington Gardens, une résidence de soins de longue durée de 350 lits à Toronto. Le directeur général a donné suite aux suggestions du personnel en embauchant et en formant six membres de la famille comme préposés au sein de l’unité pour répondre aux pénuries de personnel durant la pandémie. Les préposés doivent s’occuper de tous les résidents de l’étage, et pas seulement du résident qui fait partie de leur famille. Ils doivent aussi prendre part aux activités sociales, aux loisirs et aux visites virtuelles.

« Pourquoi ne pas faire appel aux familles? Certaines résidences sont catégoriques en refusant l’accès aux membres de la famille, même s’ils possèdent une foule de connaissances que nous pourrions qualifier de professionnelles. »

Mme Schindel Martin estime qu’avec l’équipement de protection individuelle et la formation appropriés, les aidants familiaux pourraient travailler en toute sécurité durant la pandémie.

En attendant, elle continue à plaider en faveur des infirmières et infirmiers spécialisés en soins gérontologiques qui s’occupent des membres de la famille et des adultes isolés et âgés dans tout milieu confondu.

« Nous devons faire avancer l’adoption de certaines de ces règles. »

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Au printemps 2020, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC) a formé un groupe d’experts national composé d’infirmières et d’infirmiers spécialisés en soins de longue durée. Ce groupe oriente les réponses stratégiques de l’AIIC en faisant pression pour l’adoption de réformes nécessaires dans le vaste secteur du vieillissement (et non pas seulement dans le milieu des établissements de soins de longue durée). Lori Schindel Martin fait partie de ce groupe d’experts. Vous pouvez constater par vous-même le travail récent de l’AIIC en collaboration avec l’Association médicale canadienne et d’autres organismes : Des normes nationales pour les soins de longue durée : L’art du possible? Pendant toute l’année 2020, l’AIIC a préconisé un examen approfondi des programmes et des services nécessaires pour appuyer le vieillissement en santé au Canada. Le travail sur cet enjeu important est en cours; l’AIIC a récemment rencontré Annamie Paul, cheffe du Parti vert du Canada, et la sénatrice Judith Seidman.


Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville (N.-É.).

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