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Les membres du personnel infirmier canadiens pourraient apprendre quelques trucs des pays du Sud

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2025/09/15/global-south

La pratique « beaucoup plus épurée » repose fortement sur « l’instinct, les connaissances, les présentations cliniques, les modèles épidémiologiques et les aptitudes d’évaluation physique ».

Par Ashley Holloway
15 septembre 2025
Gracieuseté de Ashley Holloway
Ashley Holloway conclut son article sur ces mots : « Je ne peux m’empêcher de penser que les travailleuses et travailleurs de la santé qui exercent leur métier dans le Sud ont peut-être beaucoup à offrir, et sont peut-être plus en avance que nous, à bien des égards. » Ci-dessus : une clinique de sang à l’hôpital général d’Assosa à Assosa, en Éthiopie.

Le bruit des clous plantés dans le cercueil se faisait entendre dans tout l’hôpital.

Lors d’un décès, la tradition veut que la famille et les ami(e)s de la personne décédée se rassemblent en grand nombre dans le couloir de l’hôpital. Le cercueil est construit autour du corps dès que les fournitures peuvent être réunies, comme pour contenir la mort.

Je me souviens du nombre exceptionnel de personnes présentes dans le couloir ce jour-là, le décès étant la conséquence des violences ethniques qui avaient éclaté entre les militants tigréens et le gouvernement à Assosa, en Éthiopie, où j’ai travaillé comme infirmière il y a plusieurs années.

Gracieuseté de Ashley Holloway
Une salle d’accouchement dans la région rurale de Totonicapán, au Guatemala

Le personnel de l’hôpital, y compris moi-même, s’occupait des victimes des deux camps. Je me souviens avoir ressenti le poids de la tension en marchant dans les couloirs à ciel ouvert. Travailler dans ces conditions a révélé l’importance de l’empathie et du geste simple de tenir la main d’une patiente ou d’un patient.

Une autre victime était transportée sur une civière, le corps recouvert d’un drap, suivie par un groupe de personnes en silence. La civière branlante sur laquelle reposait le corps était dépourvue de matelas ou de coussin. De tels luxes n’étaient pas disponibles dans cette région.

Une trêve tacite entre les deux parties du conflit ethnique a été déclarée dans l’enceinte de l’hôpital, mais malgré la certitude de mes collègues que nous étions en sécurité, je demeurais nerveuse. C’est nous qui ramassions les éclats de la violence, au sens propre comme au sens figuré.

Reconnaissante d’être « protégée » de la violence

Cette vague de violence était attribuable à un sentiment d’injustice profondément ancré dans les deux camps. À l’époque, le premier ministre Abiy Ahmed, vénéré par certaines personnes et détesté par d’autres, venait d’être élu, ce qui alimentait l’acrimonie profondément ancrée.

À ce stade, la violence s’était étendue sur plusieurs jours, la chaleur torride contribuant à l’hostilité en rendant le peuple agité et inquiet. La fin récente de la saison des pluies a été aussi abrupte que si l’on fermait un robinet pour le remplacer par une chaleur implacable.

Il ne semblait pas y avoir de juste milieu, et je me souviens avoir ressenti à la fois de la gratitude et du dégoût en constatant que la couleur de ma peau et le sarrau blanc que je portais me protégeaient de la violence.

La plupart des problèmes médicaux que j’ai constatés lorsque je travaillais dans le pays étaient attribuables à des maladies infectieuses, à la malnutrition ou à un manque d’hygiène, ou à une combinaison de ces facteurs. Le typhus était très répandu, tout comme la malaria et la tuberculose.

L’incidence du VIH a de nouveau augmenté et une grande partie du financement des soins de santé était consacrée à la prévention et à la sensibilisation. Bien que l’on considère que nombre de ces enjeux soient évitables selon les normes canadiennes, le fait de travailler dans ce contexte a renforcé l’importance des décisions.

Distribuées gratuitement dans les communautés rurales, les moustiquaires étaient rarement utilisées dans le but pour lequel elles avaient été conçues, soit de protéger les gens contre les piqûres pendant leur sommeil. Les gens s’efforçaient plutôt de trouver un équilibre entre les besoins d’aujourd’hui et ce qui pourrait se produire demain, déterminant ainsi l’utilisation de la moustiquaire.

Elle pourrait être utilisée pour créer un hamac pour le nouveau-né ou pour égoutter les haricots afin que la famille puisse manger le soir même. Le risque de contracter la malaria demain l’emporte souvent sur les besoins du jour même. (Ce raisonnement se manifeste aussi dans les rues du centre-ville de Calgary : prendre une dose de fentanyl maintenant pour échapper à l’enfer de la vie dans la rue, évitant ainsi l’horreur du sevrage, ou économiser de l’argent en vue d’un éventuel rétablissement dans l’avenir.)

Choisir entre le moindre de deux maux

Il est facile d’ignorer le contexte de la personne qui prend la décision, ou les raisons pour lesquelles elle prend telle décision, mais cela donne souvent un aperçu de ce dont une personne a vraiment besoin ou de ce qui lui manque.

Cela dit, nous avons tendance à assumer que les mauvaises décisions sont prises en raison d’un manque d’éducation. Or, l’éducation est rarement un facteur. Les gens ne se réveillent pas un jour en décidant d’avoir une dépendance au fentanyl. On ne décide pas non plus d’être pauvres.

Comptant près de 20 ans d’expérience comme infirmière et de travail dans différents contextes et lieux géographiques, je vois maintenant comment les choix auxquels une personne est confrontée dictent les décisions qu’elle prendra. De même, c’est le contexte qui détermine les choix auxquels les gens sont exposés en premier lieu. La prise de décision signifie souvent un choix entre le moindre des deux maux.

Le fait d’avoir travaillé dans de nombreuses cultures différentes tout au long de ma carrière en soins de santé me laisse également perplexe quant à l’arrogance avec laquelle la médecine occidentale se considère comme le summum des soins modernes. Il ne fait aucun doute qu’en vivant au Canada, où le système de soins de santé est universel et financé par l’État, j’ai la chance d’avoir accès à des soins de santé qui répondent à mes besoins médicaux sans qu’il m’en coûte quoi que ce soit. Le fait de vivre dans une grande ville me permet également d’avoir accès à des spécialistes et aux innovations en matière de soins de santé.

Toutefois, bon nombre de ces innovations dans la prestation de soins de santé au Canada reposent sur la technologie. Bien sûr, la technologie en médecine sauve des vies. Cependant, elle crée souvent un obstacle au contact : nous touchons l’équipement, et l’équipement entre en contact avec la patiente ou le patient.

Notre équipement ne devrait jamais servir de substitut au contact humain. L’acte du contact physique avec nos patients est menacé d’obsolescence dans les pays du Nord pour cette raison, alors que le contact humain est un élément important de la santé, de la guérison et du rétablissement.

Une leçon sur l’attention portée aux besoins des patientes

Il y a plusieurs années, j’ai accompagné une sage-femme traditionnelle maya lors de ses visites à domicile dans une communauté isolée près de Quetzaltenango, au Guatemala. Faisant partie d’une délégation de fournisseurs de soins du Canada, mon rôle consistait à soutenir le perfectionnement professionnel des sages-femmes.

Lors de la visite à domicile, j’ai observé la sage-femme effectuer des manœuvres de Leopold pour évaluer la position du fœtus, qui en l’absence de technologie échographique, est un élément normal d’une visite prénatale, surtout dans cette région d’Amérique centrale. Ce qui était inhabituel, cependant, c’est le temps qu’il a fallu à la sage-femme pour exécuter l’évaluation, ce qu’elle a fait pendant plusieurs minutes tout en discutant avec la patiente.

La patiente vivait dans une petite hutte au toit de chaume et au sol de terre battue d’environ trois mètres sur trois, perchée sur une pente abrupte de la montagne. L’accès à l’eau courante se faisait par un robinet extérieur, ce qui était considéré comme un luxe.

Gracieuseté de Ashley Holloway
Moyen de transport typique à Assosa, en Éthiopie

Plusieurs enfants en bas âge jouaient sur le sol, curieux de la présence d’une étrangère parmi eux; quelques poulets grattaient la terre. À l’aide d’une interprète, car je ne parlais pas le K’iche, la langue locale, une fois que la sage-femme e eu terminé son évaluation, je lui ai demandé pourquoi elle avait passé autant de temps à palper l’abdomen de la femme. Sa réponse inattendue m’a fait éprouver un profond sentiment d’humilité.

Elle m’a dit que c’était ainsi qu’elle procédait, car c’était probablement le seul moment de la journée où cette femme faisait l’objet d’un contact humain délicat, et où l’attention était entièrement tournée vers elle et ses besoins.

De toute évidence, c’est moi qui avais besoin d’être formée dans ce cas, et non l’inverse comme je l’avais supposé.

Une forme de médecine « épurée »

D’après mon expérience, la pratique de la médecine dans les pays du Sud est beaucoup plus épurée : les médecins, les membres du personnel infirmier et les sages-femmes se fient à leurs instincts, à leurs connaissances, aux présentations cliniques, aux modèles épidémiologiques et à leurs compétences en matière d’évaluation physique plutôt qu’à la technologie que nous avons adoptée de façon si omniprésente chez nous. Mais pour ce faire, elles et ils doivent toucherleurs patients, ce que nous sommes peu enclins à faire dans les pays du Nord, en particulier depuis la pandémie de COVID-19, lorsque le fait de toucher physiquement à une personne est devenu un anathème. Nous nous en remettons plutôt maintenant à la technologie, en supposant qu’elle prendra notre place en ce qui concerne le contact physique.

Pourtant, je me demande si notre dépendance à l’égard de la technologie, de ces machines et de ces moniteurs ne risque pas de faire disparaître l’aspect humain de la médecine. Nous utilisons la technologie pour nous enseigner l’empathie. Nous utilisons l’intelligence artificielle et les algorithmes pour prendre des décisions en médecine, ce qui, selon certaines personnes, risque de remplacer le jugement clinique. La télésanté nous permet d’entrer en contact avec des patients que nous ne verrions pas autrement, probablement en raison de limitations géographiques. Pourtant, nos champs visuels à travers un écran ne représentent qu’un aspect et une dimension de l’évaluation d’une patiente ou d’un patient.

Nous utilisons la technologie pour surveiller et interpréter le comportement humain, et les robots fournissent des soins de santé. L’avocat du diable pourrait se demander si la simple existence de ces technologies et de leurs utilisations n’est pas le signe d’un problème de société beaucoup plus profond.

L’hôpital où j’ai travaillé en Éthiopie ne disposait pas d’un brassard de tension artérielle en bon état dans le service médical, ni d’un moniteur de saturation en oxygène conçu pour les patients en pédiatrie, ce qui rendait toute lecture précise très difficile.

Dans de nombreux services, il n’y avait qu’un seul jeu de pinces nasales pour administrer l’oxygène; les patients qui en avaient le plus besoin recevaient l’oxygène à tour de rôle. Nous ne disposions pas non plus d’un approvisionnement régulier en oxygène, ce qui nous empêchait de pratiquer des chirurgies. Dans la région où je travaillais avec les sages-femmes mayas, il y avait une ambulance pour transporter les femmes en travail à l’hôpital, mais pas d’essence. Au Canada, au-dessus du cercle polaire arctique, j’ai prodigué des soins en utilisant des fournitures médicales périmées et j’ai dû faire bouillir l’eau avant de la consommer.

Aucun contact physique n’aiderait à résoudre ces problèmes. Cependant, ayant eu l’occasion d’observer et de comparer des cadres si différents dans lesquels la médecine est pratiquée, je ne peux m’empêcher de penser que les travailleuses et travailleurs de la santé qui exercent leur métier dans le Sud ont peut-être beaucoup à offrir, et sont peut-être plus en avance que nous, à bien des égards.


Ashley Holloway, inf. aux. aut. M. Santé publique, G.Dip. GBLD, CD, est infirmière, rédactrice et éditrice. Elle enseigne la rédaction et la gestion des services de soins de santé à Calgary et est directrice de la rédaction à Unleash Creatives.

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