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« Si on remarque une injustice, on la combat… On trouve des façons de réunir des gens pour faire ce qu’il faut »

  
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juil. 20, 2020, Par: Laura Eggertson
Natalie Stake-Doucet
André Querry
Prendre publiquement la parole pour et avec le personnel infirmier et mettre à jour les problèmes au sein du système de soins de santé est un aspect essentiel du rôle d’activiste infirmière, affirme Mme Stake-Doucet que l’on voit ici à une manifestation, il y a quelques années. « Dans mes actions, j’essaie de penser à l’aspect politique et à l’aspect social. Je me sens ainsi un peu moins impuissante dans des situations qui échappent habituellement à notre contrôle. »

Pendant que la COVID-19 faisait rage dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) de Montréal, infectant sans distinction des résidents et des soignants, Natalie Stake-Doucet s’est faite la porte-parole du personnel infirmier.

Dans des entrevues à la radio, à la télévision et dans la presse écrite, Mme Stake-Doucet, infirmière autorisée, doctorante à l’Université de Montréal et présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers, a attiré l’attention sur le manque d’équipement de protection et de fournitures de base.

Elle a dénoncé la situation des infirmières et des infirmiers qui travaillaient aux premières lignes de la pandémie, par rapport à celle des médecins : primes inférieures et suspension des conventions collectives.

Elle a attiré l’attention sur des années de sous-financement des soins de longue durée, une situation qui créerait des conditions propices aux pandémies, avait prévenu le personnel infirmier.

Elle a fustigé le premier ministre François Legault pour avoir dévalorisé les infirmières et les infirmiers lorsqu’il a dit aux médecins qu’il ne voulait pas les « insulter », mais qu’il avait besoin de médecins « qui viennent soigner le monde, qui viennent laver les patients, qui viennent nourrir les patients. Qu’ils viennent faire le travail d’infirmière » dans les CHSLD.

« Je viens d’une famille d’activistes. »

« Son incompréhension de ce que font les infirmières et infirmiers était tellement flagrante, s’insurge Mme Stake-Doucet. C’était incroyable d’entendre un politicien dire une chose pareille en 2020. »

Perspective féministe

Prendre publiquement la parole pour et avec le personnel infirmier et mettre à jour les problèmes au sein du système de soins de santé est un aspect essentiel du rôle d’activiste infirmière, aux yeux de Mme Stake-Doucet. Elle ne se contente pas d’apporter une perspective féministe dans son étude des impacts de la culture organisationnelle sur les soins infirmiers : elle vit ses convictions.

Pour elle, un système de soins de santé n’est sain que si la recherche et l’activisme en sont des composantes essentielles.

Mme Stake-Doucet, 37 ans, a assisté à sa première manifestation dans les bras de ses parents, alors qu’elle avait 18 mois. C’était pour la souveraineté du Québec.

« Je viens d’une famille d’activistes, souligne-t-elle en riant. Si on remarque une injustice, on la combat, ou on essaie, au moins. On trouve des façons de réunir les gens pour faire ce qu’il faut. C’est la mentalité qu’on m’a inculquée. »

D’abord attirée par l’aspect essentiel de la profession infirmière et parce qu’elle voulait avoir des compétences transportables qui lui permettraient de voyager, Mme Stake-Doucet a ensuite continué dans cette profession pour la camaraderie entre collègues et les relations nouées avec les patients.

a nurse with her arm around a woman from a long-term care home
istockphoto.com/interstid

Culture hiérarchique

Son travail initial en hôpital, d’abord comme aide-soignante, puis comme infirmière auxiliaire dans des services de chirurgie et de santé mentale en milieu rural au Québec, et à Montréal, a sensibilisé Mme Stake-Doucet à l’effet que peuvent avoir la culture et l’organisation hiérarchiques des hôpitaux sur les soins infirmiers. Ainsi, dans un petit hôpital rural, elle avait le sentiment de faire partie d’une équipe soudée, composée entre autres de médecins, d’infirmières et infirmiers et d’aide-soignants. Elle a beaucoup appris d’une gestionnaire extraordinaire qui appréciait à sa juste valeur son personnel infirmier.

« C’était un bon endroit où commencer, parce que je ne m’y sentais pas exploitée. Cette expérience a contribué à mon image de moi-même, à mes valeurs en tant qu’infirmière et [a confirmé mon idée] que quand on travaille avec une bonne équipe, il est important d’être payé et reconnu. »

Dans un grand hôpital de Montréal, l’expérience de Mme Stake-Doucet a été nettement moins positive. Le personnel infirmier de l’unité était peu soutenu et n’avait pas voix au chapitre. Elle a vu partir cinq collègues pour épuisement professionnel, et dans un cas, le départ suivait une attaque physique par un patient.

« Les gens étaient vraiment traumatisés par la façon dont l’unité était gérée », raconte-t-elle.

Mme Stake-Doucet a pris un congé pour reprendre les études à l’École de sciences infirmières Ingram de l’Université McGill. Elle y a obtenu son baccalauréat en sciences infirmières, puis a fait une maîtrise pour devenir infirmière praticienne. Elle a adoré le milieu universitaire. « J’ai beaucoup aimé apprendre, et j’ai rencontré des gens et des profs formidables… Je me sentais à ma place », se souvient-elle.

Après sa maîtrise, Mme Stake-Doucet a entamé un doctorat à l’Université de Montréal. Adoptant une perspective féministe critique, elle combine activisme politique et recherches sur la façon dont l’organisation sociale des hôpitaux limite le champ d’exercice du personnel infirmier.

Organisatrice communautaire

Mme Stake-Doucet espère que sa thèse expliquera « pourquoi les infirmières et les infirmiers se sentent aussi sous-estimés, pourquoi ils ne sont pas reconnus dans leur travail et ce que nous pouvons faire pour que ça change ».

Elle cite en exemple les normes culturelles, comme le fait qu’on appelle le personnel infirmier par son prénom, et les médecins par leur titre.

« Il y a beaucoup de choses qui m’énervaient quand je travaillais en milieu hospitalier, et j’arrive enfin à les formuler. Ça a été très cathartique pour moi », avoue-t-elle.

C’est le changement qui motive Mme Stake-Doucet. À McGill, elle a rencontré d’autres activistes, avec qui elle a fondé l’organisation McGill Nurses for Healthy Policy. Celle-ci aidait les étudiants à mieux connaître les enjeux politiques et sociaux et leur donnait une tribune où parler de la réforme des soins de santé, en cours au Québec à l’époque.

Le travail d’infirmière et d’activiste de Mme Stake-Doucet est épuisant, mais aussi inspirant.

« Nous avons appris tant de choses, estime Mme Stake-Doucet. Le groupe existe toujours à McGill, et j’en suis super fière. »

Ses activités à McGill l’ont amenée à se joindre à une autre organisation communautaire, dont elle est par la suite devenue présidente : l’Association québécoise des infirmières et des infirmiers (AQII). Tous les membres du conseil d’administration travaillent dans le réseau public.

« Il ne faut jamais se déconnecter du travail quotidien », affirme Mme Stake-Doucet, qui a continué à travailler à temps partiel comme infirmière dans des hôpitaux de Montréal tout au long de ses études.

L’AIIQ comble une lacune entre l’ordre de la profession et le syndicat, fait-elle valoir. En plus d’encourager les infirmières et les infirmiers à prendre la parole publiquement, l’organisation vise à « être un modèle de constance, de clarté politique et d’intégrité ».

Bien que l’AIIQ ne soit pas officiellement membre de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, Mme Stake-Doucet siège au conseil d’administration de l’association nationale et espère que l’organisation québécoise en fera bientôt officiellement partie.

Public alerté

En dépit de ses divergences avec le premier ministre du Québec, Mme Stake-Doucet a répondu à son appel aux travailleurs de la santé pour qu’ils viennent prêter main-forte quelques semaines dans les CHSLD, pendant la pandémie. Dans l’un des établissements les plus touchés de Montréal, elle s’est heurtée au manque d’équipement de base, entre autres de poubelles et de moniteurs de signes vitaux, fruit d’un sous-financement chronique. Un jour, pendant un seul de ses quarts, huit résidents sont morts.

« C’était très dur », confie-t-elle.

Fidèle à sa nature, Mme Stake-Doucet a parlé publiquement du problème. Avant même que le reste du Canada prenne conscience de la situation dans les centres de soins de longue durée, l’AIIQ a publié un exposé de politique adressé à la ministre de la Santé de la province.

Le personnel infirmier et les autres travailleurs des soins de santé « expriment actuellement leur détresse face à des conditions de travail qui ne répondent pas aux besoins les plus fondamentaux de leur patientèle et face au manque d’écoute de leur jugement clinique sur la situation dans plusieurs établissements de soins de longue durée », lit-on dans l’exposé, selon un article.

Long-term care home
istockphoto.com/JHVEPhoto

Ce n’était que l’une de ses salves de commentaires et d’entrevues, par lesquels Mme Stake-Doucet tentait d’alerter le public aux dangers que posait l’infection, aux résidents comme au personnel. Le travail d’infirmière et d’activiste de Mme Stake-Doucet est épuisant, mais aussi inspirant, concède-t-elle. Elle se détend en lisant de la science-fiction, en cuisinant, en jouant aux cartes et en regardant des films avec son mari, Alexis Gutierrez. Sa rétroaction est précieuse quand elle teste sur lui ses discours et ses campagnes. En fin de compte, l’activisme est ma façon privilégiée de prendre soin de moi, confie-t-elle. « Personnellement, je prends soin de moi quand je plaide pour des changements dans les politiques sanitaires et sociales et dans les conditions d’exercice du personnel infirmier. Dans mes actions, j’essaie de penser à l’aspect politique et à l’aspect social. Je me sens ainsi un peu moins impuissante dans des situations qui échappent habituellement à notre contrôle. »


Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville (N.-É.)

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