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Améliorer l’accès des travailleurs agricoles migrants aux soins de santé : le rôle du personnel infirmier

  
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mars 02, 2020, Par: Susana Caxaj, Katrina Plamondon
Farmer driving a tractor on their farm
Shutterstock.com/Colin+Dewar

Messages à retenir

  • Chaque année, des milliers de migrants arrivent au Canada pour travailler dans l’agriculture. De nombreux obstacles compliquent leur accès aux soins de santé.
  • Le personnel infirmier peut atténuer certains de ces obstacles sur le lieu de soins en étant mieux informé sur le contexte et les défis que rencontrent ces travailleurs.
  • Les infirmières et les infirmiers peuvent améliorer l’accès aux soins et l’état de santé des travailleurs migrants en faisant cinq choses simples : les identifier, fournir un service de traduction, leur donner des occasions de rapporter les accidents de travail, respecter leur droit à la vie privée et collaborer avec les partenaires communautaires.

En 2018, environ 70 000 travailleurs migrants temporaires sont entrés au Canada pour travailler dans le secteur agricole (Gouvernement du Canada, 2019a). Représentant 75 % de la main-d’œuvre agricole, ces hommes et ces femmes sont essentiels pour nourrir la population canadienne (Burt et Meyer-Robinson, 2016). Ils payent des impôts et contribuent l’assurance chômage et au Régime de pensions du Canada. Pourtant, beaucoup ont du mal à accéder à des services de base ou à obtenir des prestations de ces programmes publics.

Le personnel infirmier rencontre des travailleurs agricoles migrants dans divers lieux de pratique. Nos recherches et notre expérience avec ces gens montrent que les infirmières et infirmiers peuvent jouer un rôle important pour les soutenir et les aider à s’y retrouver dans notre système de soins de santé.

Les défis

Par définition, les travailleurs agricoles migrants ont un statut « temporaire » au Canada (Gouvernement du Canada, 2019b). Ce statut s’accompagne de difficultés particulières d’accès aux soins de santé, entre autres pour s’inscrire à un régime public d’assurance-maladie et pour s’y retrouver dans le système de couverture privée (McLaughlin, Hennebry et Haines, 2014; Sikka, Lippel et Hanley, 2011). Les travailleurs doivent aussi composer avec des obstacles linguistiques, une connaissance limitée de leurs droits en tant que travailleurs au Canada et une compréhension partielle de la façon dont fonctionnent le système de santé et le système juridique.

Faible niveau de littératie, précarité du logement et peur des représailles

La facturation directe étant rare, les ouvriers peuvent devoir payer les services médicaux d’avance. Leur faible niveau de littératie et une adresse temporaire, souvent sur la propriété de l’employeur, peuvent compliquer la tâche des ouvriers blessés ou malades qui essayent d’obtenir un remboursement et les traitements de suivi dont ils ont besoin.

Par ailleurs, les moyens de subsistance des ouvriers sont souvent liés à un employeur spécifique. S’ils perdent leur emploi, ils ne sont donc pas en mesure de trouver du travail dans une autre exploitation agricole (Caxaj et Cohen, 2019). De ce fait, même s’ils dépendent souvent de leur employeur pour accéder aux services, les ouvriers ne veulent pas toujours le mettre au courant de leurs problèmes médicaux.

Les travailleurs doivent aussi composer avec les obstacles linguistiques, une connaissance limitée de leurs droits en tant que travailleurs au Canada et une compréhension partielle de la façon dont fonctionnent le système de santé et le système juridique.

Le statut temporaire des ouvriers et le fait qu’ils sont liés à un employeur spécifique leur compliquent la tâche pour accéder aux traitements dont ils ont besoin et divulguer leurs symptômes, voire assurer leur sécurité au travail. Il ressort de recherches menées en Ontario et en Colombie-Britannique que les travailleurs migrants craignent à juste titre le rapatriement sanitaire, la perte d’heures de travail ou de rémunération, l’intimidation ou d’autres punitions s’ils devaient essayer d’obtenir des soins médicaux ou refusent de travailler dans des conditions dangereuses (Orkin, Lay, McLaughlin, Schwandt et Cole, 2014).

Isolement et intimidation

Selon des recherches avec des travailleurs agricoles migrants et du personnel en soins directs, ces travailleurs sont également aux prises avec un grand isolement géographique et social, des problèmes de protection de la vie privée et une veille juridique inadéquate, qui compliquent leur accès aux divers services de santé, ainsi qu’aux services sociaux et juridiques (Caxaj, Cohen et Marsden, en cours de publication).

Les conditions de logement peuvent aussi être source de difficultés. Beaucoup d’ouvriers agricoles vivent sur l’exploitation où ils travaillent. Les fermes se trouvant souvent loin des commodités et services urbains centralisés, ces hommes et ces femmes souffrent souvent d’isolement social, ce qui augmente les risques de complications et d’aggravation de leur état de santé (Caxaj et Diaz, 2018; Keung, 2019).

Dans le cadre de nos recherches, nous avons entendu parler d’un ouvrier qui avait demandé une modification pour protéger sa santé et sa sécurité au travail et qui a fait l’objet de représailles de la part de son employeur, qui craignait une perte de productivité. L’employeur a réprimandé l’ouvrier devant ses collègues et l’a renvoyé chez lui avant la fin de son contrat. De telles tactiques d’intimidation envoient le message que les travailleurs doivent accepter de mettre leur santé à risque s’ils veulent conserver leur emploi.

Refus de soins

Des travailleurs ont rapporté que leur employeur les avait dissuadés de se faire soigner et les avait fait attendre longtemps avant de les emmener à l’hôpital ou la clinique, quand il n’avait pas carrément refusé de les y emmener. Un ouvrier gravement malade a demandé à plusieurs reprises à son patron de l’emmener se faire soigner. Après plusieurs jours sans arriver à voir un médecin, l’homme a renoncé et choisi de rentrer au Mexique. Quelques jours après son arrivée, il est mort d’un problème de santé guérissable.

Dans un autre cas, un ouvrier s’est blessé au travail et l’a immédiatement signalé à un superviseur. L’ouvrier a été emmené à une clinique, mais regrettablement, la traduction était assurée par l’employeur même, qui ne prenait pas la blessure au sérieux. Le problème persiste, mais le travailleur n’a pas voulu insister davantage de crainte de perdre son emploi.

Malheureusement, ces expériences ne sont pas rares; elles ont été documentées tant dans la recherche que dans les médias (Keung, 2019) et elles reflètent l’ensemble de désavantages qui compliquent l’accès de ce groupe à des soins de santé et sa navigation du système.

Que peuvent faire les infirmières et les infirmiers?

Les infirmières et infirmiers peuvent joindre leur voix à celle des travailleurs agricoles migrants pour demander à ce qu’ils soient traités de façon équitable et juste. Il faudra modifier les politiques et réglementations pour que les travailleurs soient davantage en mesure de protéger leur santé et leur sécurité. Mais en attendant, vous pouvez améliorer la situation de cinq façons sur le lieu des soins.

1. Identifiez les éventuels travailleurs agricoles migrants pour planifier leurs soins de façon adéquate

En confirmant qu’une personne participe à un programme d’emploi temporaire, vous cernerez mieux les difficultés particulières qu’elle peut avoir pour obtenir une couverture médicale. Vous pouvez demander directement à vos patients s’ils travaillent dans le secteur agricole et combien de temps ils seront au Canada.

Même si l’hôpital ou la clinique où vous travaillez a une convention de tiers payant avec l’assureur des travailleurs agricoles migrants, des frais cachés pourraient s’ajouter (analyses, par ex.). En aidant les travailleurs migrants à comprendre les coûts possibles, vous les aiderez à prendre une décision plus éclairée sur leurs soins, et votre établissement sera plus à même de chercher des façons de travailler avec ces personnes en tenant compte de ces coûts.

Demandez-leur s’ils disposent d’un moyen sûr de revenir à la clinique pour le suivi. Voyez s’ils peuvent lire et suivre des instructions écrites. Si leurs tâches doivent être modifiées, demandez-leur s’ils ont besoin d’aide pour expliquer à leur patron les aménagements nécessaires. Tenez cependant compte du risque associé à la divulgation, comparé aux risques si les patients reprennent leur travail normalement. Élaborez un plan avec les patients.

2. Si l’anglais n’est pas la première langue de la personne, fournissez-lui un traducteur indépendant

Notre expérience correspond à ce que de nombreux chercheurs ont documenté : la plupart des travailleurs agricoles migrants arrivent dans les cliniques et les hôpitaux avec leur superviseur comme traducteur (Caxaj et Cohen, 2019; Caxaj et coll., en cours de publication; McLaughlin et coll., 2014).

Ne tenez pas pour acquis que cette situation convient à vos patients. Le rapport de force n’étant pas égal dans la relation superviseur-employé, on ne peut pas laisser aux travailleurs agricoles migrants la responsabilité de demander un autre traducteur. Souvenez-vous que le rapatriement médical est une crainte et une possibilité bien réelles pour ces travailleurs, dont le statut est temporaire au Canada.

Les infirmières et infirmiers peuvent joindre leur voix à celle des travailleurs agricoles migrants pour demander à ce qu’ils soient traités de façon équitable et juste.

Outre le rapatriement et le congédiement, les personnes qui travaillent dans ce type de programmes ont rapporté des réductions de leurs heures de travail, de l’intimidation et d’autres mesures punitives pour avoir signalé un problème de santé ou une blessure. Pour qu’il soit possible d’élaborer un plan de soins adapté, il faut que les travailleurs se sentent en sécurité et ne craignent pas que leurs symptômes les empêchent de travailler au Canada.

3. Donnez à vos patients plusieurs occasions de rapporter un accident de travail

Les ouvriers peuvent hésiter à révéler des symptômes ou des maladies en présence de leur patron, mais ils peuvent aussi hésiter à s’ouvrir sur des accidents de travail. Quand des travailleurs rapportent des accidents de travail, les employeurs peuvent s’inquiéter pour leur entreprise, leur réputation et les retombées financières possibles. Les patrons sont souvent en situation de conflit d’intérêts. Si vous donnez à vos patients des occasions de vous parler en privé de leur blessure, il leur sera peut-être plus facile de divulguer leur problème.

Les travailleurs migrants qui ont eu un accident de travail doivent savoir qu’il est important de signaler sans attendre leurs blessures à l’organisme concerné (la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail ou WSIB en Ontario, ou Worksafe BC en C.-B., par ex.). Vous pouvez probablement remplir le rapport pour eux. Vous pouvez aussi leur expliquer la nécessité de tenir à jour leur dossier médical. Les ouvriers ne comprennent pas toujours que pour être retenue, une demande de prestations doit être appuyée par une documentation claire et suivie des symptômes.

4. Respectez la vie privée et la confidentialité des renseignements personnels des travailleurs agricoles migrants

Étant infirmière ou infirmier autorisé, vous savez qu’il est primordial de préserver la confidentialité et la vie privée de vos patients. Malheureusement, il arrive que cela ne soit pas fait.

Nous avons documenté dans nos recherches des cas où des cliniciens ont divulgué des renseignements médicaux aux superviseurs directs ou aux patrons. Certains sont motivés par le fait qu’ils connaissent l’employeur ou sont proches de lui ou par leur conviction que l’employeur agit dans l’intérêt du patient. D’autres divulguent involontairement l’information médicale au patron parce qu’ils n’ont pas correctement compris la relation entre le traducteur et le patient.

En fin de compte, il est nécessaire de se laisser guider par les travailleurs migrants. Fournir un traducteur indépendant peut aider à élaborer un plan de soins respectueux de la dignité et de la volonté des travailleurs agricoles migrants qui se présentent dans nos hôpitaux et cliniques.

5. Souvenez-vous que vous n’êtes pas obligés de travailler tout seuls

Vous avez des collègues qui ont de l’expérience avec des travailleurs agricoles migrants, tant au sein du système de soins de santé qu’au-delà. Vous trouverez dans Ressources additionnelles ci-dessous une liste d’organisations qui pourront vous aider. Si elles n’assurent pas le service dans votre région, leur personnel pourra peut-être vous aiguiller.

Ne sous-estimez pas l’influence que vous pouvez avoir sur la santé et le bien-être d’un travailleur agricole migrant temporaire. Le temps et la compassion que vous donnez à cette personne pourront faire la différence entre ouvrir une porte ou la fermer brutalement. Comme l’a dit un jour la célèbre défenseure des droits des travailleurs agricoles migrants : « Ensemble, oui, c’est possible » – Juntos, sí, se puede!

Références

Burt, M. et R. Meyer-Robinson. Sowing the seeds of growth: Temporary foreign workers in agriculture, Ottawa, Conference Board du Canada, 2016.

Caxaj, C. S. et A. Cohen. « “I will not leave my body here”: Migrant farmworkers’ health and safety amidst a climate of coercion », International Journal of Environmental Research and Public Health, 16(15), 2019, p. 2643. doi : 10.3390/ijerph16152643

Caxaj, C. S., Cohen, A. et S. Marsden. (In)access, (in)action and blurred lines: Tensions in support delivery and planning for migrant agricultural workers, en cours de publication.

Caxaj, C. S. et L. Diaz. « Migrant workers’ (non) belonging in rural British Columbia, Canada: Storied experiences of marginal living », International Journal of Migration, Health and Social Care, 14(2), 2018, p. 208-220. doi : 10.1108/IJMHSC-05-2017-0018

Gouvernement du Canada. Embaucher un travail temporaire dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers : Aperçu, 2019a.

Gouvernement du Canada. Programme des travailleurs étrangers temporaires 2018 T1-2019T3, 2019b.

Keung, N. « This is not what we came to this country for, to live and work like animals: Migrant workers say they endured modern-day slavery in Simcoe County, » Toronto Star, 5 avril 2019.

McLaughlin, J., Hennebry, J. et T. Haines. « L’écart entre la théorie et la pratique : les protections en santé et en sécurité au travail et la réalité de la main-d’œuvre étrangère temporaire du domaine agricole en Ontario », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé,16(16-2), 2014. doi : 10.4000/pistes.5578

Orkin, A. M., Lay, M., McLaughlin, J., Schwandt, M. et D. Cole. « Medical repatriation of migrant farmworkers in Ontario: A descriptive analysis », Canadian Medical Association Journal Open, 2(3), 2014, p. E192-E198. doi : 10.9778/cmajo.20140014

Sikka, A., Lippel, K. et J. Hanley. « Access to health care and workers’ compensation for precarious migrants in Québec, Ontario, and New Brunswick », McGill Journal of Law and Health, 5(2), 2011, p. 203-270.

Ressources additionnelles

Ressources canadiennes pour les travailleurs agricoles migrants

Alberta

Colombie-Britannique

Manitoba

Ontario

Québec

Saskatchewan


Susana Caxaj, inf. aut., Ph. D. est professeure adjointe à l’Université Western de l’Ontario et affiliée au campus de l’Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique. Ses recherches portent actuellement sur des questions relatives à la migration et à l’équité en matière de santé, en particulier sur les services de soutien pour les travailleurs agricoles migrants en C.-B. et en Ontario et leur accès aux soins de santé.
Katrina Plamondon, inf. aut, M. Sc. Ph. D., est professeure adjointe au campus de l’Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique. Son doctorat et ses recherches actuelles portent principalement sur les pratiques pour faire progresser l’équité en matière de santé. Elle est active au sein de la Coalition canadienne pour la recherche en santé mondiale à titre de co-présidente du Conseil consultatif CCRSM-université.

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