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Le placement en foyer d’accueil – un déterminant social de la santé

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2019/09/30/foster-carea-social-determinant-of-health
sept 30, 2019, Par: Casey Eberl, Marcella Ogenchuk
a child playing on playground climbing ropes
iStock.com/RuslanDashinsky

Messages à retenir :

  • La surreprésentation des enfants autochtones dans le système des foyers d’accueil au Canada dénote une inégalité systémique.
  • Faire passer les politiques de protection de l’enfance d’une approche centrée sur la gestion de crise à des interventions de prévention et de soutien pourrait créer des occasions de réduire le nombre d’appréhensions d’enfants.
  • Le personnel infirmier peut contribuer à l’amélioration du système de protection de la jeunesse en tenant compte des différences culturelles dans ses interactions avec les patients et les familles et en préconisant des politiques adaptées à ces différences culturelles et façonnées par les valeurs autochtones.

Tous les étudiants des programmes de B.Sc.inf. doivent faire un stage clinique dans la communauté au cours de leur quatrième année. Pendant mon stage, j’ai été en contact avec des élèves du primaire, dont la plupart étaient autochtones. Je leur suis extrêmement reconnaissante de m’avoir accueillie à bras ouverts dans leur communauté pour cette partie de mon cheminement éducatif. J’ai pu constater la résilience et la force totales des enfants, confrontés à des obstacles monumentaux, et les liens familiaux qui règnent au sein de leur communauté. Ce que j’ai vécu pendant ce stage a été particulièrement fort parce que j’ai pu tisser des liens durables avec plusieurs enfants dans le système de protection de la jeunesse. J’ai aussi eu l’occasion de participer à l’exercice de la couverture (KAIROS Canada, 2019), qui m’a ouvert les yeux sur les subtilités du racisme systémique en Saskatchewan et sur la surreprésentation massive des jeunes autochtones dans le système canadien de protection de la jeunesse (Sinclair, 2016). J’ai pris conscience que ces enfants, si impressionnables et sensibles, rentraient le soir chez des gens qui étaient presque des étrangers. Dans cet article, je me penche sur les effets des contacts avec le système de foyers d’accueil sur leur état de santé sous l’angle de la typologie des savoirs de Carper (1978).

Aspects empiriques et socio-économiques

La surreprésentation des enfants autochtones dans le système canadien de protection de la jeunesse est amplement documentée. Alors que 7 % des enfants sont autochtones au Canada, 85 % des enfants en foyer d’accueil en Saskatchewan sont autochtones (Sinclair, 2016). Ces statistiques mettent en lumière des politiques mal conçues qui contribuent à l’appréhension des enfants des Premières Nations. Ainsi, le financement que distribue le gouvernement fédéral pour les services de protection de l’enfance dans les réserves est d’environ 22 % inférieur à celui que distribue le gouvernement provincial pour les mêmes services hors réserve (Tait, Henry et Walker, 2013).

Une autre politique biaisée fait en sorte que les services de protection de la jeunesse appréhendent les enfants selon deux critères seulement : « maltraitance » et « négligence ». En Saskatchewan, la majorité des enfants en foyer d’accueil ont été appréhendés au second titre (Tait et coll., 2013). Dans de nombreux cas, des facteurs sociaux qui échappent au contrôle des parents ont contribué à la « négligence physique, l’absence de supervision et l’abus d’alcool ou d’autres drogues par les parents » (Tait et coll., 2013, p. 44). Ainsi, les parents qui ont vécu dans des pensionnats ont subi un traumatisme intergénérationnel qui pourrait être un facteur dans leurs troubles liés à la consommation d’une substance, et il faudrait en tenir compte avant d’appréhender les enfants. Ces troubles sont reconnus comme maladie mentale par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (APA, 2013), et les personnes qui en sont atteintes ont besoin d’être soutenues au moyen d’un traitement, et non d’être punies. Si les parents étaient aux prises avec une autre maladie mentale, la dépression ou l’anxiété par exemple, nous n’envisagerions pas de leur enlever leurs enfants, mais la stigmatisation de la consommation d’alcool ou de drogue perpétue cette inégalité (Lloyd, 2018).

Actuellement, le financement et le fonctionnement du système de protection de la jeunesse sont fondés sur des interventions tertiaires et la gestion de crise (Tait et coll., 2013). Cette démarche en aval ne fait qu’ajouter aux problèmes. Au contraire, une démarche en amont – incluant la réconciliation avec le passé colonial, la lutte contre la pauvreté et des stratégies de santé mentale – pourrait tout simplement éviter que les enfants doivent être enlevés à leur famille.

Les statistiques citées ci-dessus illustrent la pertinence d’une compréhension socio-économique qui tient compte du revenu et du statut social, ces deux éléments déterminant si votre enfant sera autorisé à rester chez vous ou sera emporté. Voilà qui témoigne d’une inégalité sociale qui doit changer avec une modification délibérée des pratiques et des politiques.

Par ailleurs, de nombreuses données empiriques montrent que des traumatismes émotionnels, mentaux et physiques accompagnent le plus souvent le placement en foyer d’accueil et que les anciens des foyers d’accueil sont à risque de mauvais résultats scolaires et de faible niveau d’éducation (Mersky et Janczewski, 2013, p. 368). Selon la même étude, les enfants qui sortent de foyers d’accueil ont plus de lacunes psychologiques et comportementales que des enfants maltraités qui n’ont jamais été placés en foyer d’accueil. Par ailleurs, une étude américaine a montré qu’entre 50 et 80 % des enfants en foyer d’accueil répondent aux critères pour un trouble mental, et 23 % pour plusieurs troubles mentaux (Hambrick, Oppenheim-Weller, N’zi et Taussig, 2016). En plus de la maltraitance et de la négligence, les changements d’adultes responsables d’eux sont pour les enfants des expériences néfastes qui perturbent leurs relations d’attachement (Hambrick et coll., 2016). Ces études portent à croire que les appréhensions pratiquées systématiquement par les services canadiens de protection de la jeunesse contribuent potentiellement au problème, au lieu d’y remédier. Une autre étude montre que de 22 à 35 % des adolescentes entre 17 et 19 ans qui ont des enfants et sont en foyer d’accueil voulaient « certainement » ou « probablement » tomber enceintes et que « les bébés comblaient un manque émotionnel dans la vie de leur mère » (Aparicio, Pecukonis et O’Neale, 2015, p. 45). Selon la même étude, les placements en foyer d’accueil ne feraient que perpétuer le cycle de maternité précoce, de pauvreté et de faible scolarité et continueraient d’avoir une incidence négative sur les autres déterminants sociaux de la santé.

L’identité culturelle joue un rôle capital dans le développement de l’enfant et demeure importante à l’âge adulte (Harris, Jackson, O’Brien et Pecora, 2009). Les enfants qui sont enlevés à leur famille de naissance et placés dans un foyer d’accueil d’une autre culture risquent de perdre leur identité culturelle personnelle ou de mal la vivre (Harris et coll., 2009). Dans la plupart des endroits au Canada, y compris en Saskatchewan, la majorité des familles d’accueil sont eurocanadiennes; de ce fait, il existe un risque important que les enfants autochtones fassent une association entre leur identité culturelle et les « échecs » de leurs parents autochtones, comparé à leurs parents d’accueil eurocanadiens (Tait et coll., 2013, p. 44). Ces études montent que la confusion au sujet de l’identité culturelle entraîne un risque de troubles émotionnels, mentaux et sociaux connexes.

Aspects éthiques et esthétiques

Le Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés (2017) de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada décrit le devoir de fournir avec compétence des soins adaptés à la culture. Selon le Code de l’AIIC, « Les infirmières et les infirmiers ne font pas de discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la culture, les croyances politiques et spirituelles, la situation sociale ou matrimoniale, le sexe, l’identité de genre, l’âge, l’état de santé, le lieu d’origine, le mode de vie, la capacité mentale ou physique, le statut socio-économique ou toute autre caractéristique » (p. 19). En vertu de la Loi sur les services à l’enfant et à la famille du Manitoba (1985), il faut tenir compte du patrimoine culturel, linguistique, racial et religieux de l’enfant (Sinclair, 2016), et les normes sont similaires en Colombie-Britannique. La Saskatchewan, par contre, n’a aucune recommandation spécifique aux enfants autochtones (Sinclair, 2016), et ce, malgré l’importante population autochtone de la province. Cette absence de politique adaptée aux spécificités culturelles est un obstacle à l’offre de soins éthiques et respectueux de la culture par le personnel infirmier. Néanmoins, l’une des normes du Collège de sciences infirmières de la Saskatchewan, sur laquelle les étudiantes et étudiants en sciences infirmières sont évalués dans toutes leurs expériences cliniques, inclut l’avancement du rôle d’infirmière ou infirmier autorisé et l’encouragement de la recherche et de l’élaboration de politiques. Lorsque des politiques sont nuisibles à nos patients, il est de notre devoir de les dénoncer et de faire le nécessaire pour qu’elles soient modifiées.

Le Code de l’AIIC (2017) fait état d’une autre responsabilité éthique : la réflexion personnelle. Il est du devoir de tous les professionnels de réfléchir attentivement à leurs normes éthiques et culturelles personnelles et aux façons dont leurs valeurs et croyances influencent leur vision des choses et leur pratique. Pour les praticiens qui sont témoins de méthodes parentales étrangères aux leurs, réfléchir aux origines de leurs conceptions de la famille et du rôle de parent favorise une meilleure compréhension et combat les préjugés et les jugements de valeur. La réflexion personnelle est la base sur laquelle on peut cultiver des pratiques et des politiques tenant compte des spécificités culturelles.

Le savoir esthétique (Carper, 1978) est nécessaire pour s’y retrouver dans les soins adaptés aux spécificités culturelles et élaborer des politiques allant dans ce sens. L’esthétique des soins infirmiers inclut des nuances difficiles à quantifier. Savoir comment demander de l’aide de manière respectueuse, apprendre et pratiquer les soins adaptés à la culture et aborder des sujets délicats, comme la protection de la jeunesse, tout ça relève du savoir esthétique. L’esthétique des soins infirmiers inclut les soins personnalisés à chaque patient et une réflexion et un apprentissage continus (Carper, 1978). L’esthétique est dynamique et ne peut pas s’apprendre dans des manuels; elle s’apprend exclusivement au moyen d’expériences significatives avec des patients.

Savoir personnel

S’il existe beaucoup de recherches sur les effets du placement en foyer d’accueil sur les enfants, j’en ai trouvé peu sur les effets de ce phénomène sur les parents. Je fais du bénévolat à une clinique SWITCH (Student Wellness Initiative Toward Community Health), une initiative étudiante de bien-être visant la santé communautaire. Cette clinique située dans un quartier du centre-ville est ouverte en dehors des heures régulières. J’y ai remarqué une tendance systématique : pour les parents, lorsqu’un de leurs enfants leur devient étranger, les effets émotionnels et indirects sur eux-mêmes sont dévastateurs. J’ai pu constater que lorsque des parents se font enlever leurs enfants pour qu’ils soient confiés à l’État, même temporairement, leur santé mentale se dégrade brutalement, et parfois, une dépendance apparaît ou s’amplifie. Je suis consciente que la nature de nos rencontres (en clinique) augmente mes probabilités de voir des gens qui sont aux prises avec un trouble lié à la consommation d’une substance. C’est une tendance qui mérite d’être prise en considération quand on parle des placements en foyer d’accueil. Même un contact avec le système de protection de la jeunesse qui n’entraîne pas la perte de la garde d’un enfant peut suivre les parents toute leur vie, comme un casier judiciaire. Quand on envisage les contacts avec le système de placement en foyer d’accueil comme un déterminant social de la santé, il faut tenir compte du fait qu’il concerne aussi les parents, pas seulement les enfants.

Répercussions

Mes expériences dans la pratique clinique m’ont amenée à un état de dissonance morale. Oui, les enfants autochtones sont surreprésentés dans les foyers d’accueil au Canada et cela doit changer. Il est certain que passer du temps en foyer d’accueil nuit à l’état de santé des enfants concernés pendant leur enfance et à l’âge adulte. Je me demande néanmoins quelle est la meilleure pratique quand on doit intervenir auprès d’enfants qui vivent dans un milieu où ils sont maltraités ou négligés, quelle que soit la race de la famille en question. Comment assurer la sécurité de l’enfant tout en apportant un soutien à la famille biologique, pour que l’enfant puisse revenir chez ses parents le plus rapidement possible, sans que l’état de santé de la famille et de l’enfant ne souffre?

La solution, à mon avis, passe par des politiques et des pratiques adaptées à la culture et par la modification de l’allocation des financements pour permettre la prévention des situations dangereuses, et pas seulement la gestion des crises. Ce principe est vrai tant dans les services sociaux que dans les soins infirmiers, la médecine et les autres secteurs. Souligner les valeurs autochtones et augmenter le nombre d’alliés autochtones parmi les responsables des politiques et les consultants seraient de grands pas en avant pour créer un système de protection de la jeunesse plus sûr et plus équitable au Canada. Toutes les interventions et tous les types de soutien devraient être essayés avant de recourir à l’appréhension, en tenant particulièrement compte des conceptions autochtones du rôle de parent. Par exemple, permettre le partage des responsabilités parentales avec les grands-parents, avant même que le placement dans la famille élargie ne soit ordonné, pourrait prévenir l’appréhension. Qui plus est, plaider pour l’équité au chapitre des déterminants sociaux de la santé peut aider à réduire les intrusions du système de placement en foyer d’accueil. L’équité passe, entre autres, par une augmentation des logements abordables, des sources d’alimentation sûres et abordables et des soins de santé primaires accessibles.

Le personnel infirmier peut contribuer à une plus grande équité en travaillant au maximum de ses compétences et de son rôle au sein de l’équipe interprofessionnelle en défendant les droits de ses patients. Pour promouvoir la modification des politiques en matière de protection de la jeunesse et soutenir les enfants et les parents dans le système de placements en famille d’accueil, les infirmières et infirmiers doivent défendre activement les droits de ces derniers. Ils doivent continuer à consulter leurs patients et la communauté pour connaître leurs souhaits et recueillir leurs conseils et aider à mettre en place une défense des droits et un renforcement des compétences centrés sur les patients et la communauté.

Tous les professionnels des soins de santé et des services sociaux doivent aussi faire un effort délibéré pour réfléchir à leurs pratiques personnelles et à celles de notre société en matière de responsabilités parentales. S’ils y réfléchissent, ils pourront cerner les préjugés qui existent dans leur pratique personnelle ainsi que dans les politiques à l’égard des structures familiales et des méthodes parentales autochtones.

La formation continue est une autre responsabilité des infirmières et infirmiers qui doit être soutenue par les établissements d’enseignement postsecondaires et les employeurs. Nous avons une obligation, en tant que professionnels des soins infirmiers et en tant que citoyens, de profiter de chaque occasion d’apprentissage expérientiel et de chercher à étendre nos connaissances théoriques.

J’espère que la philosophie que j’ai présentée ici aidera à guider les infirmières et infirmiers selon les normes empiriques et éthiques qui sont reconnues comme des pratiques exemplaires pour les patients et les communautés.

Remerciements

Les auteures remercient Gary Beaudin, directeur du développement communautaire et des ressources, Greater Saskatoon Catholic Schools. Ses conseils pour s’y retrouver dans le système de placements en foyers d’accueil aux côtés des enfants du système scolaire ont grandement enrichi le présent article.

Références

American Psychiatric Association. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.), Washington, D.C., auteur, 2013.

Aparicio, E., Pecukonis, E. V. et S. O’Neale. “The love that I was missing”: Exploring the lived experience of motherhood among teen mothers in foster care, Children and Youth Services Review, 51(avril), 2015, p. 44-54.

Association des infirmières et des infirmiers du Canada. Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés [PDF, 948,5 Ko], 2017.

Carper, B. Fundamental patterns of knowing in nursing, Advances in Nursing Science, 1(1), 1978, p. 13-23.

Loi sur les services à l’enfant et à la famille, C.P.L.M., 1985.

Hambrick, E. P., Oppenheim-Weller, S., N’Zi, A. M. et H. N. Taussig. Mental health interventions for children in foster care: A systematic review, Children and Youth Services Review, 70, 2016, p. 65-77.

Harris, M. S., Jackson, L. J., O’Brien, K. et P. J. Pecora. Disproportionality in education and employment outcomes of adult foster care alumni, Children and Youth Services Review, 31(11), 2009, p. 1150-1159.

KAIROS Canada. The blanket exercise, 2019.

Lloyd, M. Health determinants, maternal addiction, and foster care: Current knowledge and directions for future research, Journal of Social Work Practice in the Addictions, 18(4), 2018, p. 339-363.

Mersky, J. P. et C. Janczewski. Adult well-being of foster care alumni: Comparisons to other child welfare recipients and a non-child welfare sample in a high-risk, urban setting, Children and Youth Services Review, 35(3), 2013, p. 367-376.

Sinclair, R. The Indigenous child removal system in Canada: An examination of legal decision-making and racial bias, First Peoples Child & Family Review, 11(2), 2016, p. 8-18.

Tait, C., Henry, R. et R. Walker. Child welfare: A social determinant of health for Canadian First Nations and Métis children, Pimatisiwin: A Journal of Aboriginal and Indigenous Community Health, 11(1), 2013, p. 39-53.

White, J. Patterns of knowing: Review, critique, and update, ANS Advances in Nursing Science, 17(4), 1995, p. 73-86.


Casey Eberl est étudiante en quatrième année de sciences infirmières à l’Université de la Saskatchewan. Elle travaille régulièrement à titre bénévole dans une clinique étudiante de Saskatoon, où elle s’est passionnée pour la santé autochtone et l’équité en santé. Casey a hâte de contribuer à ces domaines dans sa future carrière d’infirmière autorisée.
Marcella Ogenchuk est professeure agrégée au Collège de Sciences infirmières de l’Université de Saskatchewan. Elle a une grande expérience des soins infirmiers pédiatriques, et son enseignement et ses recherches actuels portent sur les enfants et les jeunes.

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