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L’importance de parler la langue des patients pour leur assurer des soins sécuritaires

  
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Sep 27, 2021, Par: Michelle Leung
a nurse looking at an tablet device with a patient
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Les infirmières bilingues occupent une position privilégiée : elles sont la voix du patient pour communiquer avec tous ceux qui ne parlent pas sa langue. À chaque interprétation, les infirmières bilingues peuvent se faire les avocates du patient pour s’assurer que ses besoins sont entendus.

Messages à retenir

  • Les patients francophones vivant en contexte linguistique minoritaire éprouvent de graves difficultés à accéder aux services de santé en français et peuvent n’avoir d’autre choix que de recourir à des services en anglais. Dans de tels cas, de nombreux francophones sont confrontés à des barrières linguistiques qui peuvent menacer leur sécurité.
  • Le recours à des proches bilingues, à des interprètes ou à des technologies de traduction n’est pas un substitut aux soins que peuvent fournir des infirmières bilingues.
  • Les infirmières bilingues qui assurent une offre active remplissent leur obligation éthique de fournir des soins accessibles et font preuve de compétence culturelle en donnant un choix à leurs patients. En étant conscientes des barrières linguistiques et de leur impact sur la santé, les infirmières peuvent ajuster l’environnement pour assurer la prestation de soins de santé culturellement sécuritaires et efficaces pour leurs patients.

De 50 à 55 % des francophones en milieu minoritaire n’ont jamais ou ont rarement accès à des services de santé en français. C’est ce que révèle une analyse effectuée au sein de 71 communautés francophones hors Québec à travers le Canada, à l’exclusion des Territoires du Nord-Ouest (Comité consultatif des communautés francophones en situation minoritaire [CCCFSM], 2001).

Selon une autre étude canadienne, 20 % de tous les participants francophones en contexte linguistique minoritaire se privent de services de santé lorsque ceux-ci ne sont pas disponibles en français par peur de ne pas comprendre ou d’être mal compris (de Moissac et Bowen, 2018).

L’impact des barrières linguistiques sur la sécurité des patients se manifeste lorsque la disponibilité limitée des services en français force les francophones à dépendre des services en anglais. L’auteure réfléchit ici aux effets négatifs des barrières linguistiques sur la sécurité des patients francophones vivant dans un environnement unilingue anglais et à l’opportunité que représentent les infirmières bilingues pour assurer la sécurité de ces patients.

Contexte

La concordance linguistique entre le patient et le fournisseur de soins et services est essentielle pour une communication efficace, qui facilite l’évaluation du patient, les examens, la gestion de la douleur, le consentement éclairé (de Moissac et Bowen, 2018) et, surtout, les soins centrés sur le patient. En raison d’un faible accès aux services dans la langue de leur choix et de l’existence de barrières linguistiques avec les fournisseurs de soins de santé, on note, chez les populations linguistiques minoritaires du Canada, un risque accru d’erreurs de diagnostic, de moins bons résultats de santé, une plus faible observance thérapeutique et un taux moins élevé de satisfaction envers les soins et services (Bowen, 2015).

De plus, l’une des idées fausses les plus dangereuses est que si un patient parle un peu anglais, il n’a pas besoin d’un interprète ou d’un fournisseur qui parle sa langue (Bowen, 2015). Or il peut y avoir un plus grand risque pour la sécurité dans ce cas, parce qu’il y a une illusion de communication. Lorsque le patient ne parle pas l’anglais du tout, au contraire, le fournisseur reconnaît qu’il y a un problème et prend des précautions supplémentaires. Les infirmières du Canada doivent noter le risque que pose ce mythe pour les francophones qui parlent un peu l’anglais. Elles doivent de plus être conscientes que même des francophones qui peuvent normalement communiquer en anglais perdent cette capacité lors de situations de stress ou de douleur intense, ou lorsqu’ils sont sous l’influence de médicaments (de Moissac et Bowen, 2018).

Les limites du recours aux proches bilingues, aux interprètes et à la traduction

headshot of Michelle Leung
Gracieuseté de Michelle Leung
En tant qu'infirmière bilingue, Michelle Leung peut établir une « connexion instantanée » avec les patients francophones. « Je me sens privilégiée de pouvoir assurer une offre active à mes patients. »

Face aux barrières linguistiques et aux conséquences potentielles mentionnées ci-dessus, les prestataires et établissements peuvent recourir à des proches bilingues, à des interprètes ou à des services de traduction en ligne pour établir une forme de communication. Cependant, leur utilisation est associée à des problèmes importants.

Les proches peuvent omettre des informations fournies par le client ou le fournisseur de soins de santé, ajouter des informations à ce que dit le client ou le fournisseur, remplacer des mots, des concepts ou des idées, utiliser des mots inexacts pour l’anatomie, les symptômes ou le traitement et ne pas interpréter un message adéquatement (Bowen, 2015).

Les limites existent même avec des interprètes qualifiés. Il s’agit notamment de difficultés d’arrangement, de disponibilité, de confidentialité et d’impact sur le confort du patient (Ali et Watson, 2017). Même lorsque des interprètes sont disponibles, la communication par ces intermédiaires n’est pas toujours possible, en particulier lorsqu’un patient est stressé, souffre de douleur ou est sous l’influence de médicaments ou d’une anesthésie. Selon ces auteurs, c’est dans de telles situations que des infirmières bilingues peuvent être surtout utiles.

D’autres tentatives pour surmonter les barrières linguistiques impliquent des technologies telles que Google Translate. Selon Patil et Davies (2014), la précision de Google Translate n’est que de 57,7 % lorsqu’il est utilisé pour le domaine médical, et les auteurs concluent qu’il ne faut pas s’y fier pour les communications médicales importantes. De plus, lors d’une autre étude, les participants francophones ont déclaré que les avantages de Google Translate sont limités en cas d’urgence ou lors de consultations en santé mentale et qu’il est inadéquat pour des rencontres médicales significatives (de Moissac et Bowen, 2018).

Par conséquent, à mon avis, le recours à des proches, à des interprètes qualifiés ou à des services de traduction en ligne n’est pas un substitut adéquat aux soins assurés par des infirmières bilingues. En effet, contrairement à la majorité des proches, les infirmières bilingues connaissent la terminologie médicale. Contrairement aux interprètes qualifiés qui ne sont disponibles qu’à certaines heures, les infirmières bilingues sont constamment au chevet des patients et peuvent établir une relation significative avec eux. Et contrairement à Google Translate, les infirmières bilingues comprennent le contexte des mots utilisés et sont donc plus susceptibles de fournir des traductions précises et pertinentes.

Ainsi, les infirmières bilingues occupent une position privilégiée : elles sont la voix du patient pour communiquer avec tous ceux qui ne parlent pas sa langue. À chaque interprétation, les infirmières bilingues peuvent se faire les avocates du patient pour s’assurer que ses besoins sont entendus. 

Les infirmières bilingues sont bien placées pour assurer l’offre active

La communication est au cœur de la prestation de soins culturellement sécuritaires (Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada, 2009). Étant donné que la langue est nécessaire pour une communication efficace, l’offre active des infirmières est essentielle pour garantir la sécurité culturelle du patient.:

Par offre active, on entend le fait de « présenter, au premier contact, les services dans la langue de choix de la clientèle, avec confiance et conviction : une question de qualité, de sécurité, d’éthique et d’équité » (Consortium national de formation en santé, 2021).

Au Canada, cela signifie que les professionnels de la santé offrent à leurs clients le choix de recevoir des services en français dès le départ — ce n’est pas au client de le demander. En effet, le patient peut « se sentir intimidé s’il doit revendiquer le respect de ses droits linguistiques » (Savard et coll., 2014, p. 86).

Lorsque les fournisseurs assurent une offre active, ils respectent les droits linguistiques du patient en respectant sa préférence linguistique; la sécurité culturelle est ainsi renforcée. Lorsque les infirmières bilingues assurent l’offre active, on peut donc conclure qu’elles font preuve de compétence culturelle.

Soulignons également que selon le Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC), les infirmières doivent préconiser des « services de soins de santé accessibles et fournis en temps opportun, au bon endroit et par le bon fournisseur » (AIIC, 2017, p. 22). Ainsi, en assurant l’offre active en matière de langue utilisée pour soigner, les infirmières bilingues remplissent leur obligation éthique de fournir des services accessibles aux patients francophones.

Sur une note personnelle

En tant que nouvelle diplômée du Baccalauréat ès sciences infirmières (bilingue) de l’Université de l’Alberta, j’ai hâte d’utiliser mon multilinguisme dans mes soins aux patients. Je me souviens encore de la première fois où j’ai assuré une offre active en matière de soins et services dans la langue du patient en tant qu’étudiante en sciences infirmières. C’était lors de mon premier stage clinique dans un centre de soins de longue durée.

Même des francophones qui peuvent normalement communiquer en anglais perdent cette capacité lors de situations de stress ou de douleur intense

J’ai abordé une résidente plutôt réservée avec un « Hello, Bonjour », et son visage s’est immédiatement illuminé; elle a répondu avec enthousiasme : « Tu peux parler français? ». Nous avons ensuite entamé une longue conversation en français sur sa famille et ses voyages. La connexion instantanée qui s’est établie quand elle s’est rendu compte que je pouvais l’aider dans sa langue était formidable, et c’est exactement la raison pour laquelle l’offre active est si importante. Je me sens privilégiée de pouvoir assurer une offre active à mes patients.

Enfin, il est tout aussi important que les infirmières soient conscientes que les barrières linguistiques auxquelles font face les francophones en situation minoritaire et les conséquences sur leur santé s’apparentent à celles avec lesquelles doivent composer les immigrants qui se retrouvent en minorité linguistique où que ce soit dans le monde. Lorsque ma famille et moi sommes arrivés au Canada de Chine, en 2007, j’ai vécu de première main les conséquences d’une barrière linguistique sur l’accessibilité aux soins de santé et aux services sociaux. À partir de ces expériences, je reconnais l’énorme importance que peut avoir le fait de recevoir des services de santé dans sa langue, pour le confort des patients et pour la qualité des soins, la communication thérapeutique et l’établissement d’une relation de confiance avec l’équipe soignante. La langue et la communication jouent un rôle déterminant dans la prestation de soins de santé sécuritaires et efficaces, peu importe où on est dans le monde. Une telle prise de conscience permet à l’infirmière du monde de reconnaître le risque encouru par les patients de minorités linguistiques et d’adapter l’environnement de manière à leur offrir des soins et des services sécuritaires.

Références

Ali, P. A., et Watson, R. (2017). « Language barriers and their impact of provision of care to patients with limited English proficiency: Nurses perspective ». Journal of Clinical Nursing. 27(5-6), e1152– e1160. https://doi-org.login.ezproxy.library.ualberta.ca/10.1111/jocn.14204

Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada. (2009). Cultural competence and cultural safety in nursing education: A framework for First Nations, Inuit and Métis nursing. https://www.cna-aiic.ca/~/media/cna/page-content/pdf-en/first_nations_framework_e.pdf

Association des infirmières et infirmiers du Canada. (2017). Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés. https://www.cna-aiic.ca/~/media/cna/page-content/pdf-fr/code-de-deontologie-edition-2017-secure-interactive.pdf?la=fr

Bowen, S. (2015). The impact of language barriers on patient safety and quality of care: Final report. Société Santé en français. https://www.reseausantene.ca/wp-content/uploads/2018/05/Impact-language-barrier-qualitysafety.pdf

Comité consultatif des communautés francophones en situation minoritaire. (2001). Pour un meilleur accès à des services de santé en français – juin 2001. https://fcfa.ca/wp-content/uploads/2018/03/Pour-un-meilleur-acces-a-des-services-de-sante-en-fran%C3%A7ais.pdf

Consortium national de formation en santé. (2021). Boîte à outils pour l’offre active. http://www.offreactive.com

De Moissac, D., et Bowen, S. (2018). « Impact of Language Barriers on Quality of Care and Patient Safety for Official Language Minority Francophones in Canada ». Journal of Patient Experience, 6(1), 24-32. https://doi.org/10.1177/2374373518769008

Patil, S. et Davies, P. (2014). « Use of Google Translate in medical communication: Evaluation of accuracy ». British Medical Journal, 349(g7392), 1-3. doi: https://doi-org.login.ezproxy.library.ualberta.ca/10.1136/bmj.g7392

Savard, J., Casimiro, L., Benoît, J. et Bouchard, P. (2014). « Évaluation métrologique de la mesure de l’offre active de services sociaux et de santé en français en contexte minoritaire ». Reflets, 20(2), 83-122. doi:10.7202/1027587ar


Michelle Leung, inf. aut., est une ancienne étudiante du programme de sciences infirmières (bilingue) de l’Université de l’Alberta. Depuis son arrivée de Chine au Canada avec sa famille en 2007, elle a dû surmonter d’importantes barrières linguistiques et n’est donc pas étrangère à leurs impacts. Parlant maintenant quatre langues (mandarin, cantonais, anglais et français), elle espère utiliser son multilinguisme en milieu clinique pour améliorer le confort des patients et faciliter leur parcours dans les soins de santé.

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