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Discrimination au Canada : une infirmière autochtone a choisi d’étudier aux É.-U. et de servir dans l’armée américaine

  
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nov. 09, 2020, Par: Laura Eggertson
Charlotte Edith Anderson in front of the Canadian and American flags
Gracieuseté de Don Monture
Charlotte Edith Anderson, qui a pris le nom de Monture à son mariage, semble avoir été la seule infirmière des Premières Nations à servir pendant la Première Guerre mondiale.

Au lendemain de la mort du soldat américain qui la considérait comme sa « grande sœur », emporté par une hémorragie à la suite d’une blessure au cou, Charlotte Edith Anderson s’est laissé submerger par le chagrin et l’épuisement.

C’était le 16 juin 1918. Ce matin-là, Mme Anderson, « Andy » pour ses amis et ses collègues, était inconsolable.

L’infirmière mohawk de la bande Six Nations de Grand River (Ontario), avait vraiment cru qu’Earl King guérirait. Elle l’avait soigné pendant trois jours après son rapatriement du front à l’hôpital de la base 23 à Vittel, en France.

À deux reprises, elle avait déjà empêché une hémorragie chez le jeune homme de 19 ans, aidée l’une des deux fois par un garçon qui livrait le pain pour les soldats à l’hôpital de campagne de 1 800 lits.

« J’ai le cœur brisé. J’ai pleuré presque toute la journée et j’ai été incapable de dormir », confie Mme Anderson à son journal.

Deux jours plus tard, elle commandait des fleurs pour « son garçon » et assistait à ses funérailles.

La seule infirmière des Premières Nations

« Il a plu pendant toutes les funérailles et j’avais les pieds mouillés, mais peu m’importait. Je rendais un dernier hommage à Earl. »

Mme Anderson, qui a pris le nom de Monture à son mariage, semble avoir été la seule infirmière des Premières Nations à servir pendant la Première Guerre mondiale.

Bien qu’engagée dans le service infirmier de l’armée américaine, elle était d’origine canadienne.

C’est parce qu’elle a tenu son journal – ce qui était strictement interdit – que l’on a un aperçu de sa vie pendant son année de service outre-mer durant la Première Guerre mondiale. Ce n’est que lorsque ses proches ont vidé son logement après sa mort qu’ils ont découvert le journal. Ils ont plus tard publié Diary of a War Nurse (Journal d’une infirmière de guerre) à titre privé.

Aucune des écoles infirmières canadiennes qu’elle avait contactées n’avait accepté sa candidature.

Mme Anderson s’est portée volontaire en 1917, à l’âge de 27 ans. Elle est arrivée en France le 6 mars 1918.

Elle s’est engagée aux États-Unis parce que c’est là qu’elle travaillait comme infirmière, dans une école privée, après avoir fait ses études à l’école de soins infirmiers de New Rochelle, à New York.

Rien à perdre

Aucune des écoles infirmières canadiennes qu’elle avait contactées n’avait accepté sa candidature. Elles n’avaient même pas répondu à ses lettres, « sans doute parce qu’on avait vu à son adresse qu’elle vivait sur la réserve des Six Nations », explique John Moses, son petit-fils, historien au Musée canadien de l’histoire à Ottawa.

Ne se laissant pas décourager par la discrimination, Mme Anderson a tenté sa chance lorsqu’elle a vu une publicité pour l’école de soins infirmiers de New York dans le journal de Brantford (Ontario).

Terri Monture, sa petite-fille, lui a un jour demandé pourquoi elle avait envoyé une demande dans une école américaine.

« Je n’avais rien à perdre », lui a-t-elle répondu.

Non seulement elle a été acceptée, mais elle a fini première de sa classe.

« Elle n’a jamais eu de note en dessous de 96 », souligne son fils, Don Monture.

Maintenant âgé de 85 ans, M. Monture a un jour demandé à sa mère comment c’était, pendant la guerre.

L’impact durable des morts

Elle a parlé d’un garçon de 17 ans que les infirmières avaient soigné comme un bébé. Un obus lui avait arraché les deux bras alors qu’il faisait une livraison au front dans une charrette tirée par des chevaux.

« Voir ce que j’ai vu quand on a une vingtaine d’années… on ne devrait jamais voir ça », a confié sa mère à M. Monture.

La mort d’Earl King a eu un impact durable sur Mme Anderson. Elle a par la suite écrit à la mère du jeune soldat à Waterloo, en Iowa, pour lui dire qu’elle était au côté de son fils au moment de sa mort. Ce fut le début d’une longue amitié avec cette famille reconnaissante.

Après la guerre, Mme Anderson est revenue sur la réserve des Six Nations. Elle n’avait pas vu sa famille depuis deux ans. Elle a épousé Claybran Monture, l’homme qu’elle « fréquentait » avant de partir outre-mer.

Mme Monture, que sa famille appelait par son deuxième prénom, Edith, a continué à travailler à temps partiel comme infirmière sur la réserve. Elle y a aussi rempli les fonctions de sage-femme pour de nombreuses naissances à domicile.

Les Monture, des agriculteurs, ont eu cinq enfants. Ils en ont perdu un à l’âge de 5 ans, suite à une rupture d’appendice.

Deux des enfants, Don Monture et Helen Moses, rapportent que leur mère ne parlait jamais du racisme qu’elle avait subi pendant son service. Elle n’évoquait même jamais les épreuves de la guerre.

Mais chaque jour du Souvenir, Mme Monture arborait ses médailles et participait aux cérémonies, saluée par les anciens combattants plus jeunes.

Droit de vote

« Elle était tellement discrète à ce sujet. Elle ne voyait vraiment pas ça comme un exploit », souligne Helen Moses, devenue infirmière, elle aussi, et membre fondatrice de l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada .

Quand on sait le racisme systémique que Mme Monture a dû surmonter rien que pour faire des études infirmières, sa carrière a été exceptionnelle.

« Elle n’a guère été reconnue de son vivant, et maintenant, elle l’est plus que jamais. Toute cette attention la mettrait presque mal à l’aise. »

Quand on sait le racisme systémique que Mme Monture a dû surmonter rien que pour faire des études d’infirmière, sa carrière a été exceptionnelle. Mais ce n’est là que l’une des nombreuses raisons pour lesquelles elle mérite une place plus importante dans l’histoire du Canada.

Elle a également été la première femme des Premières Nations à avoir le droit de voter dans une élection fédérale, rappelle M. Moses.

Ce n’est qu’en 1960 que l’on a octroyé aux « Indiens inscrits » – les membres de Premières Nations inscrits au Registre des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens – le droit de voter aux élections fédérales sans perdre leur statut. Avant, s’ils voulaient voter, on les considérait comme émancipés, ce qui leur faisait perdre leur statut d’Indien inscrit et l’appartenance à leur bande.

La Loi des électeurs militaires de 1917, cependant, donnait le droit de vote à tous les soldats canadiens, y compris le personnel infirmier qui servait pendant la guerre.

« Grand-mère, qui était la seule femme indienne canadienne à servir en uniforme pendant la Première Guerre mondiale, a donc obtenu le droit de vote », dit M. Moses.

Un bureau de vote chez elle

« Elle était fière d’exercer son droit de vote, et elle a milité à plusieurs niveaux pour essayer d’obtenir que plus d’Autochtones jouissent de ce droit au Canada. »

En fait, la maison des Monture a servi de bureau de vote pendant cette première élection fédérale suite aux amendements apportés à la Loi sur les Indiens.

« Certains Autochtones ne voulaient pas voter », raconte Mme Moses.

Ce n’était pas le cas de sa mère.

« Elle a toujours eu le sentiment qu’elle avait le devoir civique de voter, si elle le pouvait. Et elle votait. »

Mme Monture est morte peu avant son 106e anniversaire, à la maison de soins infirmiers Iroquois Lodge, à Oshweken, Ont.

Des décennies après que sa mère ait servi dans l’armée, Helen, sa fille, a profité d’un voyage en France pour passer à Vittel. Elle voulait voir où sa mère était pendant la guerre.

« Certains des bâtiments existaient encore, raconte-t-elle. C’était très émouvant de penser qu’elle avait été là. »


Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville (N.-É.).

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