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Soutenir le personnel infirmier qui offre l’aide médicale à mourir : la réalité sur le terrain

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2019/07/02/supporting-nurses-through-the-maid-journey-experie
juil. 02, 2019, Par: Pauline Therrien , Michelle Pothier
great blue heron flying over sea water
iStock.com/aleroy4

« Notre travail nous met souvent en contact avec la mort. J’en ai trop vu mal se dérouler. Les [morts] avec l’AMM auxquelles j’ai participé sont les mieux…, les plus paisibles et celles avec le soutien maximum imaginable. » (infirmière en santé communautaire anonyme, 2018)

Ce que nous avons appris

  • Devant une question aussi chargée d’émotions que l’AMM, il est important d’écouter le personnel de première ligne et de profiter de son expérience.
  • La production de matériel de formation ne garantit pas la diffusion de l’information. Même le meilleur programme de formation pour superviseurs et instructeurs peut ne jamais arriver jusqu’aux premières lignes.
  • Un soutien ciblé doit être offert aux infirmières et infirmiers après une visite pour l’AMM. Ils apprécient vraiment le soutien que leur apporte alors leur superviseur, et nous recommandons vivement un entretien particulier après chacune de ces visites.

Avec l’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies en phase terminale qui choisissent de rester chez elles, au Canada, le soutien apporté par les infirmières et infirmiers en santé communautaire (ISC) devient capital pour ces clients. Lorsque le projet de loi C-14 a été adopté en juin 2016, les ISC se sont retrouvés avec de nouvelles responsabilités (Sheridan, 2017). On leur demande à présent de prendre soin de clients qui ont choisi de recevoir une aide médicale à mourir (AMM) à domicile. Avec l’inclusion de l’AMM dans la pratique déjà difficile des soins à domicile, on rajoute un niveau de complexité. Les ISC travaillent de manière autonome, entre autres en régions isolées et souvent, sans beaucoup de soutien (Schiller, 2017). Apporter l’AMM à domicile comporte des difficultés particulières, allant du manque de fournitures au fait de travailler seul et sans aide (quand les ISC ont du mal à trouver une veine, par exemple).

Dans notre rôle d’infirmières en chef pour un organisme national de soins de santé à domicile, nous nous sommes questionnées sur l’effet que l’AMM pourrait avoir sur les ISC et ce que nous devrions faire pour les soutenir. Une recherche documentaire a révélé le manque d’articles consacrés au soutien spécifique pour le personnel infirmier qui participe à l’AMM. Nous avons entrepris d’élaborer un plan pour les politiques et la formation dans ce domaine. Notre nouvelle politique pour l’AMM, fondée sur des données probantes, couvrait tout ce que le personnel infirmier et les superviseurs doivent savoir pour travailler dans le cadre de la législation et pour fournir en toute sécurité des soins aux patients qui reçoivent l’AMM. Notre nouveau programme de formation à l’interne précisait la politique au moyen d’un modèle de formation des formateurs. La formation a été donnée aux superviseurs, l’intention étant qu’ils l’offriraient ensuite à l’ensemble du personnel infirmier.

Par la suite, nous nous sommes demandé comment les ISC s’en sortaient avec cette nouvelle composante de leur rôle. Les superviseurs en faisaient-ils assez pour les soutenir? Nous tenions à vérifier si notre politique et nos formations étaient efficaces; il nous fallait donc entendre les ISC.

Mise en application

Nous avons élaboré un plan pour recueillir le point de vue des infirmières au sein de l’organisation. Qu’est-ce qui marchait bien et quelles étaient les lacunes?

Cette étude s’est déroulée en deux phases. On a d’abord demandé aux infirmières de décrire ses expériences de l’AMM. Nous avons envoyé des dépliants à nos différents bureaux en Ontario et demandé aux gestionnaires de les distribuer aux ISC qui avaient participé à l’AMM. Les participantes étaient informées que notre but était de mieux comprendre leur expérience de l’AMM afin d’évaluer les procédés actuels et de déterminer s’il était nécessaire de modifier la formation ou les politiques.

Les infirmières nous ont décrit leur expérience dans de simples courriels et appels téléphoniques. Elles ont été huit à nous décrire avec éloquence leur expérience de l’AMM et à soulever des questions importantes. Certaines relataient des expériences profondément positives :

« Je suis profondément reconnaissante d’avoir pu contribuer à quelque chose de si merveilleux pour ce client, et heureuse qu’il ait pu prendre cette décision pour lui-même après avoir été si impuissant, si longtemps. »

« Un grand héron est passé près de ma voiture alors que je quittais son domicile; j’y ai vu un signe qu’elle était en paix et voulait que je sache qu’elle était libre. »

Certaines expériences n’étaient toutefois pas positives :

« Je ne pouvais pas dormir, évidemment; j’ai passé une nuit très agitée et le lendemain matin, je me suis réveillée épuisée, mentalement et physiquement. »

« Je n’ai eu aucun appel du bureau; personne ne m’a contactée pour me demander comment ça s’était passé… c’était comme si ça n’était jamais arrivé. »

Ce qui était clair, c’est qu’on ne peut sous-estimer l’effet d’accompagner un fournisseur de soins au domicile du patient dans le cas de l’AMM. Il y a une différence entre installer une ligne intraveineuse pour administrer une dose d’antibiotiques et en installer une qui servira à apporter une AMM. Nous devons soutenir nos infirmières et infirmiers avant, pendant et après l’AMM.

Ces récits ont soulevé de nouvelles questions : Pourquoi certaines expériences étaient-elles si positives et d’autres si dérangeantes? Certains thèmes revenaient dans les récits. Point intéressant, les infirmières qui décrivaient leurs expériences de l’AMM comme positives évoquaient le fait qu’elles se sentaient soutenues. Celles dont les expériences étaient moins positives parlaient du manque de soutien et d’un manque de confiance dans leur rôle. Certains commentaires portaient sur la formation reçue ou non.

Nous n’avons reçu que huit récits, mais ils étaient suffisants pour guider l’élaboration d’un questionnaire plus poussé. Les questions s’articulaient autour de trois thèmes récurrents : la formation interne, la confiance en elles des infirmières et le soutien reçu. Nous avons invité tout le personnel infirmier de l’organisation qui avait déjà participé à l’AMM à répondre au questionnaire. Nous nous interrogions sur ce qui était nécessaire pour soutenir pleinement une infirmière ou un infirmier pendant un épisode de soins d’AMM. Notre hypothèse était qu’un soutien accru mènerait à une plus grande confiance en eux, ce qui entraînerait une expérience plus positive pour eux.

Au total, 24 infirmières à travers l’Ontario ont répondu au questionnaire. La majorité (80 %) a indiqué travailler sur le terrain depuis plus de 10 ans et avoir auparavant suivi une formation complémentaire en soins palliatifs. Il était clair que ces infirmières étaient chevronnées.

Formation

Seulement 54 % des répondantes ont dit avoir reçu notre formation interne. À nos yeux, c’était alarmant, car la formation avait été offerte aux superviseurs pour pour qu’ils deviennent eux-mêmes des formateurs, l’intention étant qu’ils la transmettraient ensuite au personnel infirmier de première ligne. Pourquoi la formation n’avait-elle pas été transmise à l’ensemble du personnel infirmier? Les infirmières et infirmiers étaient-ils trop occupés pour y assister, ou les superviseurs trop occupés pour la donner? L’objection de conscience avait-elle joué un rôle? Nous sommes en train d’étudier les raisons de cette lacune.

Confiance en soi

La majorité des infirmières (84 %) a déclaré avoir confiance ou très confiance dans sa compréhension de son rôle pendant une visite d’AMM, résultat qui nous a plu. Toutefois, il était intéressant de constater que celles qui disaient avoir peu confiance en elles n’avaient pas suivi la formation interne pour l’AMM, ce qui fait ressortir l’importance de cette formation.

Soutien

Les infirmières se sont toutes déclarées soutenues dans leur rôle par leurs superviseurs, leurs pairs et les autres fournisseurs de soins jusqu’à la visite pour l’AMM. En fait, plus elles avaient reçu de soutien des divers membres de l’équipe de soins de santé, plus leur expérience de l’AMM était positive. L’une d’elles nous a dit : « Le soutien et les conseils que j’ai reçus étaient excellents ». Fait intéressant, bien qu’elles se soient dites bien soutenues avant et pendant les visites pour l’AMM, elles ont trouvé moins manifeste le soutien reçu après ces visites. La plupart se sentaient soulagées ou heureuses pour le client après l’AMM, mais certaines ont dit s’être senties perturbées, bouleversées et tristes.

Pour les quelques infirmières qui ont reçu un soutien de leur superviseur après une intervention d’AMM, ce soutien avait été apporté en personne ou par téléphone et, dans certains cas, seulement par courriel. Elles ont clairement dit vouloir se sentir soutenues pour l’AMM et avoir besoin de parler à leurs superviseurs après une telle visite. Elles ne trouvaient pas qu’un courriel de leur superviseur répondait efficacement à leurs besoins après une intervention d’AMM.

Résultats

Il est ressorti de l’enquête qu’en offrant une formation et du soutien aux infirmières et infirmiers participant à l’AMM, on augmente leur confiance en eux et leurs expériences positives. Nous avons appris que le soutien peut prendre de nombreuses formes allant de la formation à la possibilité de parler à quelqu’un. En outre, plus les participantes avaient le sentiment d’avoir été soutenues, plus elles se disaient confiantes.

En nous appuyant sur les résultats de l’étude, nous avons révisé nos politiques et notre stratégie de formation et mis en place des lignes directrices claires pour ce qui est de soutenir le personnel et de bien le former avec, entre autres :

  • une formation interne sur l’AMM pour toute nouvelle recrue dans le cadre de son orientation;
  • une trousse d’information modèle sur l’AMM, offerte partout et comprenant notre politique ainsi que de l’information complémentaire pour aider les infirmières et infirmiers avant, pendant et après une visite pour l’AMM;
  • un outil de débreffage post-AMM qui peut servir de guide pour les superviseurs qui ne savent « pas quoi dire ».

La formation et les politiques sont le pilier dont ont besoin les superviseurs pour soutenir le personnel infirmier sur le terrain. Nous espérons que ces changements permettront de répondre au besoin pressant de soutien post-visite.

Prochaines étapes

D’autres mesures permettront d’améliorer ce processus:

  • Faire un suivi avec les superviseurs pour mieux comprendre les obstacles à l’enseignement. Sont-ils objecteurs de conscience? Manquent-ils de temps? Que pouvons-nous faire pour les aider?
  • Mettre systématiquement l’AMM à l’ordre du jour des réunions bimensuelles que tiennent les superviseurs de notre organisation;
  • Aider nos différents points de service à mettre en place des groupes de soutien par les pairs pour les infirmières et infirmiers qui participent à l’AMM;
  • Encourager les points de service à intégrer l’AMM aux sujets discutés lors des réunions mensuelles du personnel.

Nous comptons faire un suivi auprès des superviseurs et du personnel infirmier plus tard dans l’année pour évaluer l’effet des changements apportés et surtout pour déterminer si les ISC se sentent davantage soutenus.

La leçon la plus importante que nous retenons est qu’il ne faut jamais traiter une intervention pour l’AMM comme une visite à domicile ordinaire et qu’il faut garder à l’esprit que même les infirmières et infirmiers les plus chevronnés ont besoin de soutien.

Références

Schiller, C. J. (2017). Medical assistance in dying in Canada: focus on rural communitiesThe Journal for Nurse Practitioners, 13(9), 628–634.

Sheridan, L. When patients ask to die: the role of nurses in medical assistance in dying, 2017. Consulté à partir de l’Electronic Thesis and Dissertation Repository.


Pauline Therrien, inf. aut., B. Sc, inf., est consultante clinique nationale à ParaMed et s’occupe de l’AMM depuis qu’elle a été légalisée en 2016. Elle était responsable de l’élaboration, de l’examen et de la révision des politiques et de la formation, l’accent étant mis sur les aspects cliniques et les soins de santé à domicile.
Michelle Pothier, B. Sc. inf., inf. aut., M. Sc. inf., ICSC(C), est consultante clinique nationale à ParaMed et chargée d’apporter leadership et direction aux équipes des succursales et de la direction pour les questions de compétence clinique, de normes, de politiques et de pratiques concernant la prestation des soins et des services aux patients.

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