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Aide médicale à mourir : Qu’arrivera-t-il après le 6 juin?

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2016/05/08/medical-assistance-in-dying-what-can-nurses-expect

infirmière canadienne a demandé à Chantal Léonard, de la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada, de parler des implications d’une nouvelle loi sur l’aide médicale à mourir et de ses effets potentiels sur le personnel infirmier

mai 08, 2016, Par: Chantal Léonard

Les médias ont beaucoup parlé de l’aide d’un médecin pour mourir après le jugement Carter c. Canada, lorsque la Cour suprême du Canada a déclaré anticonstitutionnels l’alinéa 241(b) et l’article 14 du Code criminel.

dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.

Les responsables des politiques et les rédacteurs de lois fédéraux et provinciaux travaillent avec acharnement et réfléchissent aux façons de mettre en place le meilleur cadre législatif possible pour les patients et les fournisseurs de soins de santé en ce qui concerne l’aide à mourir. Ci-dessous, quelques-unes des questions pour lesquelles on peut escompter une réponse d’ici l’échéance du 6 juin. Les réponses proposées ici sont fonction de ce que nous savons au moment de la préparation de ce numéro d’infirmière canadienne (mi-avril). À l’approche de la date butoir, le travail avance rapidement, et les choses évoluent tout aussi vite. Des mises à jour sont régulièrement publiées sur spiic.ca et cna-aiic.ca.

Le comité mixte spécial n’a pas employé l’expression aide d’un médecin pour mourir, recommandant plutôt l’expression aide médicale à mourir (AMM), qui reflète la participation d’autres membres de l’équipe de soins de santé. Je parlerai donc ici d’AMM.

Comment le Code criminel déterminera-t-il que l’AMM n’est pas un acte criminel?

Le suicide assisté étant actuellement interdit en vertu du Code criminel, le gouvernement fédéral devrait modifier le Code pour que l’AMM soit exemptée de son application dans des circonstances spécifiques. Il reste cependant à savoir dans quelle mesure l’exemption tiendra compte du rôle de chacun des membres de l’équipe de traitement.

La SPIIC a recommandé que cette exemption soit formulée de sorte qu’il soit clair que les infirmières, infirmiers et autres professionnels de la santé qui aident à apporter l’AMM ne commettent pas un acte criminel lorsqu’ils agissent dans les limites de leur champ de pratique. Le Comité mixte spécial a adopté cette recommandation dans son rapport.

Une autre question importante est de savoir si le Code criminel sera modifié pour qu’il y soit clairement stipulé que fournir aux patients de l’information et un avis professionnel sur l’AMM n’est pas une infraction. Actuellement, selon le Code criminel, il est en effet illégal de conseiller à une personne de se suicider. Lorsque le personnel infirmier et les autres professionnels de la santé donnent de l’information ou un avis professionnel, ils peuvent indiquer dans leur dossier sur l’AMM qu’il s’agit de counseling ou d’un avis. La Cour suprême ayant déterminé que l’AMM est une forme de suicide, le mieux serait de stipuler dans l’amendement au Code criminel que discuter les souhaits d’un patient en ce qui concerne l’AMM n’équivaut pas à lui conseiller de se suicider.

Qui pourra apporter une aide à mourir ou participer indirectement à l’AMM?

Pour prévoir une exemption dans le Code criminel, le gouvernement devra définir l’AMM. À partir de cette définition, il sera possible de déterminer comment le personnel infirmier pourra participer dans les limites de son champ de pratique. À l’intérieur de ce nouveau cadre, les organismes de réglementation apporteront vraisemblablement des instructions complémentaires, sous forme de normes de pratique, d’énoncés de position ou de lignes directrices. Il se peut aussi qu’ils imposent certaines conditions pour la participation du personnel infirmier. Les infirmiers et infirmières sont donc encouragés à consulter leur organisme de réglementation pour mieux comprendre leur rôle dans l’apport de l’AMM, quand et comment ils peuvent refuser d’aider et quelles sont les pratiques exemplaires à suivre.

Y aura-t-il des protections complémentaires?

Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a indiqué que l’aide à mourir pouvait être justifiée pour une personne adulte capable qui consent clairement à mettre fin à sa vie et qui est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables. La nouvelle loi pourrait nécessiter des protections complémentaires, comme l’exigence d’une demande écrite d’AMM. Un second professionnel de la santé pourrait avoir à confirmer que toutes les conditions sont remplies. Un certain délai de réflexion pourrait également être exigé entre la présentation ou l’acceptation de la demande et l’apport de l’aide à mourir.

Qui pourra recevoir l’AMM?

Dans la plupart des provinces et territoires, les mineurs mûrs jouissent des mêmes droits que les adultes pour décider de leurs soins de santé. La loi limitera-t-elle l’apport de l’AMM aux personnes majeures ou donnera-t-elle aux mineurs mûrs qui se trouvent dans la terrible situation décrite dans l’arrêt Carter le même droit de demander une aide à mourir? L’AMM pourrait-elle être apportée aussi aux enfants qui éprouvent des souffrances intolérables, sans espoir de guérison, et dont la souffrance ne peut être atténuée par des soins palliatifs?

On s’attend à ce que la loi stipule aussi les considérations spéciales qui s’appliqueraient pour les adultes atteints d’une maladie psychiatrique. Si elle est muette sur ce point, les professionnels de la santé sauront qu’en cas de maladie psychiatrique, celle-ci n’exclura pas en elle-même l’aide à mourir, mais qu’il en sera tenu compte (avec le reste de la situation du demandeur) pour déterminer si les conditions sont remplies.

Les professionnels de la santé pourront-ils appliquer des directives préalables ou des demandes présentées par un mandataire autorisé?

On encourage les gens à préparer des directives préalables sur leurs souhaits en matière de fin de vie pour que ceux-ci soient respectés s’ils n’étaient plus capables de les communiquer le jour venu. Ces directives peuvent être préparées longtemps avant le diagnostic, si la personne en est capable. Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême indique que l’aide médicale à mourir devrait être disponible pour « un adulte capable qui est affecté de problèmes de santé graves et irrémédiables ». Les directives préalables étant appliquées une fois que la personne n’est plus capable, cela empêcherait normalement de s’appuyer sur des directives préparées avant que la personne ne souffre d’une affection irrémédiable causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables.

Cependant, pour rédiger la nouvelle loi, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ne sont pas strictement limités aux circonstances décrites dans la décision de la Cour suprême. Ils pourraient adopter un cadre modifié, pourvu qu’il soit conforme à la Constitution canadienne.

On a déjà beaucoup débattu la question de savoir si des directives préalables pourraient s’appliquer dans le cas de l’AMM. On s’attend à ce que la loi réponde à d’autres questions concernant la capacité, par exemple : si les professionnels de la santé peuvent se baser sur des directives préalables, pourront-ils le faire seulement pour celles préparées après le diagnostic, quand la personne prenait une décision éclairée en fonction de cette maladie? Sera-t-il possible pour un tuteur légal, une personne nommée par procuration ou toute autre personne déléguée de demander une aide à mourir au nom d’un adulte incapable qui satisfait autrement aux critères d’accessibilité?

La nouvelle loi reconnaîtra-t-elle formellement le droit des fournisseurs de soins de refuser de participer à l’AMM pour objection de conscience?

Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a indiqué que son but n’était pas d’imposer aux médecins l’obligation d’apporter une aide à mourir, et que la loi et la réglementation devraient concilier les droits des patients et des médecins.

La question se posera peut-être de savoir s’il suffira de se fonder sur les normes et directives déjà adoptées par les diverses professions des soins de santé dans leur code de déontologie et par les organismes de réglementation. Ces directives incluent actuellement une obligation de diriger la personne vers un professionnel en mesure d’offrir l’aide nécessaire. Les points de vue personnels sur l’AMM demeurent polarisés, et pourtant, dans l’intérêt supérieur du patient, il est parfois nécessaire d’agir sans tarder. Il serait donc utile que la loi prévoie un mécanisme intégré de mise en contact avec d’autres professionnels, afin que cette responsabilité n’incombe pas aux soignants. Un tel mécanisme existe dans la loi québécoise, selon laquelle une personne désignée sera responsable de trouver un professionnel qui n’a pas d’objection à apporter une aide à mourir si les conditions requises par la loi sont respectées.

L’apport de l’aide à mourir sera-t-il régi par la législation fédérale ou par la législation provinciale ou territoriale?

L’avantage d’une AMM entièrement régie par une loi fédérale serait son application uniforme dans tout le pays. Sinon, les règles pourraient varier d’un endroit à l’autre. De plus, certaines provinces ou certains territoires pourraient ne pas s’estimer en mesure de légiférer d’ici le 6 juin.

Une loi fédérale présente cependant aussi des inconvénients. Nos tribunaux ont jusqu’à maintenant jugé que le gouvernement fédéral n’a pas le droit d’adopter de lois qui régissent la prestation de soins de santé, exception faite de l’interdiction d’un comportement et de l’imposition d’une pénalité, comme c’est le cas dans le Code criminel. Par conséquent, pour réglementer pleinement l’AMM, il faudrait que le gouvernement fédéral maintienne l’interdiction actuelle du suicide assisté dans le Code criminel, puis adopte des règles détaillées pour définir les cas où l’aide à mourir ne constitue pas une infraction. Dans ce cas, comment protéger efficacement les professionnels de la santé contre le risque de poursuite au criminel pour ce qui pourrait finalement n’être qu’une légère variation par rapport à la conduite exemptée? De plus, ce procédé garantira-t-il à ceux qui en ont besoin l’accès à ce service?

Pour l’instant, la nécessité de modifier le Code criminel afin que l’aide à mourir ne corresponde pas à la définition du suicide assisté semble faire consensus. Mais une question plus difficile se pose : le gouvernement fédéral incorporera-t-il dans cette exemption l’ensemble du cadre juridique pour l’aide à mourir, ou optera-t-il plutôt pour une formulation plus simple qui définirait l’aide à mourir en termes généraux, laissant ainsi les provinces (dont on espère qu’elles travailleront ensemble et adopteront une législation similaire) déterminer les autres exigences et processus pour l’administration de l’AMM? Il est possible que le personnel infirmier doive consulter le Code criminel et sa loi provinciale ou territoriale pour comprendre l’ensemble du cadre en ce qui a trait à l’AMM.

La SPIIC est à la disposition des infirmières et infirmiers admissibles à ses services pour les aider et faire en sorte qu’ils reçoivent l’information et la protection juridiques nécessaires, qu’ils choisissent de participer à l’AMM ou non.

Adopter le projet de loi C-14

La ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, a déposé le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) à la Chambre des communes le 14 avril.

Après une seconde lecture, le 22 avril, on s’attend à ce que de longs débats se poursuivent à la Chambre des communes jusqu’en début mai.

Puis, après son adoption en seconde lecture à la Chambre, le projet de loi doit être examiné article par article par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Présidé par Anthony Housefather, le Comité est constitué de six députés libéraux, trois conservateurs et un néo-démocrate. Après son étude par le Comité, le projet de loi reviendra à la Chambre pour l’étape du rapport, qui pourrait mener à de nouvelles modifications.

La toute dernière étape avant le passage au Sénat sera une troisième lecture à la Chambre, avec d’autres débats et un vote. Les libéraux étant majoritaires au gouvernement, on s’attend à ce que le projet de loi soit adopté sans difficulté. Néanmoins, tous les députés, quel que soit leur parti, seront libres de voter selon leur conscience.

Normalement, le processus au Sénat est similaire à celui à la Chambre : première lecture, seconde lecture, envoi devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, étape du rapport, troisième lecture, et sanction royale (si le projet de loi est adopté). Dans ce cas-ci, toutefois, pour respecter la date limite fixée par la Cour suprême, la sanction royale doit être obtenue d’ici le 6 juin. En raison des délais serrés, le comité sénatorial procédera donc à une étude préliminaire sur la question pendant que le projet de loi est devant la Chambre, une décision procédurale inusitée (mais pas inédite), habituellement réservée aux questions particulièrement complexes.

Si tout se passe bien au Sénat, le projet de loi C-14 sera adopté et recevra la sanction royale. Par contre, si le Sénat n’approuve pas le projet de loi, celui-ci reviendra à la Chambre. Si la Chambre n’approuve pas les modifications apportées par le Sénat, le projet de loi peut retourner au Sénat. Si un accord ne peut être trouvé sur le projet de loi avant le 6 juin, la décision de la Cour suprême s’appliquera, et l’aide médicale à mourir sera légale à partir du 7 juin.


Chantal Léonard est avocate et chef de la direction de la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada (SPIIC), une société sans but lucratif qui offre des conseils juridiques, des services de gestion des risques, de l’aide juridique et une protection en matière de responsabilité professionnelle aux infirmières et infirmiers autorisés et praticiens admissibles.

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