Blog Viewer

Savoir improviser

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2016/01/07/thinking-on-our-feet

Un événement traumatique offre à cette formatrice et à ses étudiants une occasion de mettre à profit leurs connaissances essentielles et leur expérience pour apporter leur soutien

janv. 07, 2016, Par: Linda Gomez, inf. aut., M.Sc.inf.

Jusqu’à ce que mon téléphone cellulaire sonne, la journée s’annonçait semblable à beaucoup d’autres passées avec mes étudiants. Même si je ne savais pas exactement comment elle se déroulerait, j’avais un plan : je devais soutenir trois infirmières-étudiantes qui donneraient un cours d’éducation sexuelle à un groupe d’élèves du secondaire dans une école adaptée.

Les écoles adaptées accueillent ceux qui ont du mal à apprendre dans le système standard. Cette année, les élèves de l’école où nous allions étaient de jeunes hommes dont beaucoup sont issus de milieux perturbés et font front au quotidien en affichant des comportements à très haut risque. Mais, généralement, ces jeunes semblent réussir dans leurs études et développer une meilleure estime de soi à l’école. Les enseignants et le personnel de soutien, apparemment très dévoués aux élèves, ont créé une communauté subtilement chaleureuse et propice à l’épanouissement. Être invité dans leur sphère est un privilège; ils constituent un groupe soudé.

Quand j’ai décroché, une voix tremblante m’a dit : « Il y a eu une tragédie ». Je suis entrée dans l’école en courant. Une enseignante m’a dit que M. D., le directeur adjoint, venait de mourir subitement, d’un arrêt cardiaque. J’étais renversée. Je le connaissais. C’était un homme gentil et drôle; il avait des enfants. Tout le monde l’adorait à l’école, et ils étaient tous bouleversés.

Le temps s’est arrêté. Mon plan ne servait plus à rien. Je ne savais pas si on nous demanderait de partir, mais je voulais proposer toute l’aide que nous pouvions apporter, quelle qu’elle fût. Un membre du personnel enseignant nous a demandé de rester et a suggéré que nous entamions une conversation sur un tout autre sujet.

Je me suis félicitée d’avoir de l’expérience en enseignement. En premier lieu, je savais que j’avais besoin de quelques minutes pour préparer mes étudiants. Le défi, dans l’immédiat, était de trouver un endroit où parler. Heureusement, je peux animer une réunion n’importe où, qu’il s’agisse d’une salle de conférence, d’un placard, ou d’un stationnement. Les toilettes des hommes étant vides, c’est là que notre groupe de cinq s’est réuni : trois étudiantes de 3e année, un étudiant de 1re année et moi.

Je savais quelles étaient nos forces dans cette situation. Mes étudiantes avaient déjà enseigné à ces jeunes et tissé des liens avec eux. De plus, elles me faisaient confiance aussi. Mon travail était de les aider à reconnaître leurs compétences et leurs connaissances, bien réelles, pour diriger une séance sur l’identification du deuil avec une classe de jeunes désemparés. Je savais qu’elles en étaient capables, mais il fallait qu’elles arrivent elles-mêmes à cette conclusion. En même temps, je voulais aider l’étudiant de 1re année à comprendre un peu ce qui se passait.

« Quel est l’aspect le plus important ici? », leur ai-je demandé. « Les aider à parler de ce qu’ils ressentent », m’ont-ils répondu. J’ai commencé à parler du deuil, et ils se sont vite rendu compte qu’ils avaient appris beaucoup de choses sur la question. Nous avons rapidement conçu un plan très simple : nous poserions des questions ouvertes qui conduiraient à une réflexion sur les phases du deuil et nous noterions les réponses sur des tableaux à feuilles mobiles. Seuls ceux qui le souhaitaient participeraient. Nous ne forcerions personne.

J’ai fait une vérification rapide : deux des étudiantes se sont dites prêtes à animer la séance, à condition de pouvoir se tourner vers moi si nécessaire. La troisième trouvait la situation trop intense pour elle, compte tenu d’expériences récentes. L’étudiant de 1re année observerait et écouterait attentivement; en fait, je ne me souviens pas de l’avoir vu bouger d’un cil ce jour-là. Après une étreinte tous ensemble, nous sommes entrés dans la classe.

Les deux heures qui ont suivi ont été remarquables. Nos deux animatrices étaient ouvertes et à l’aise avec le groupe, donnant assez de place à chacun et respectant les silences. Finalement, presque tous les élèves et l’enseignante ont choisi de parler. Les jeunes se sont montrés prêts à parler de stratégies de réduction des méfaits qui les aideraient à veiller à leur sécurité au cours de la fin de semaine. Pour rendre hommage à M. D., le groupe a décidé de planter un arbre sur le terrain de l’école.

Nous nous sommes ensuite retrouvés pour faire le point. J’ai dit à mon groupe combien j’étais fière de leur comportement. La théorie, la pratique et leur professionnalisme n’avaient plus fait qu’un dans une sorte de danse des soins infirmiers. Nul besoin pour moi de compter les pas : la chorégraphie avait été parfaite. Nous étions tous tristes pour M. D., sa famille, l’école et sa communauté, mais j’étais heureuse d’avoir été présente avec ce groupe d’étudiants et d’avoir su réagir rapidement pour répondre à leurs besoins. Je crois que l’expérience a renforcé leur confiance en eux et leur respect pour les compétences et les connaissances de leurs pairs.

Je me réjouis de toutes ces fois où j’ai dû modifier mes plans au dernier moment et des possibilités qui en ont résulté; d’avoir des étudiants qui se montrent toujours à la hauteur des défis, avec tout juste besoin d’un petit coup de coude pour passer à l’action; d’avoir la sagesse de savoir comment les aider à relever ces défis. Nous venions de participer à un cours impromptu sur ce qui arrive quand on plonge dans tout le désordre de la vie et de la mort. Personne n’a jamais dit que notre métier serait facile.


Linda Gomez, inf. aut., M.Sc.inf., est professeure de sciences infirmières au programme de B.Sc.inf. du Collège Selkirke à Castlegar (C.-B.)

#opinions
#formation
0 comments
7 views

Connectez-vous pour laisser un commentaire