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Faire preuve d’autocompassion dans le milieu infirmier — mode d’emploi pour y parvenir

  
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Une infirmière chevronnée fait état de son expérience de l’épuisement professionnel

Par Terry Webber
25 avril 2022
Gracieuseté de Terry Webber
« Lorsque les normes de pratique chères au personnel infirmier se heurtent à de lourdes charges de travail et à la souffrance des patients, il est normal que les cœurs bienveillants se lassent. La COVID a ajouté une pression énorme à cette blessure déjà chronique », affirme Terry Webber.

De minuscules langoustes rejetées sur le sable par la marée descendante courent sur la plage. Assise au bord des flots miroitants, je les regarde s’agiter par centaines, semble t il, chacune sachant exactement ce qu’elle doit faire avant d’être ramenée à la mer. Je leur suis reconnaissante de ne pas avoir besoin de mon soutien.

Trois jours après le début de nos vacances, j’ai l’impression de m’engouffrer dans ma propre marée — différente toutefois de celle que j’ai connue ces deux dernières années, depuis que la COVID 19 a frappé. La pandémie a dominé ma pratique des soins, et mon mari a dû remuer ciel et terre pour me tirer de là.

Je me sens enfin capable d’écrire cet article, où je peux vous faire état de mon expérience de l’épuisement professionnel. Je le décris en détail, pour que vous puissiez en identifier les symptômes, si vous les ressentez. Et je propose des solutions qui, je l’espère, pourront vous aider.

Un marathon de sollicitude sur deux ans

Ces deux dernières années, j’ai vécu un marathon de sollicitude envers les autres. De plus en plus de patients préféraient les soins de fin de vie à domicile, et leurs proches avaient besoin d’un soutien supplémentaire pour s’engager sur une voie qui ne leur était pas familière. Lorsque mes proches à moi ont eu besoin de soins urgents, j’étais reconnaissante d’être l’infirmière du cercle familial. Les autres membres de la communauté semblaient graviter autour de moi, et mettre ma bienveillance à contribution m’était tout naturel. Ce n’est que lorsque des torrents de tragédie ont déferlé sur mes voisins, tout juste au delà de ma portée, que j’ai remarqué mon épuisement. J’avais l’impression de ne pas pouvoir répondre à tous les appels à l’aide qu’on me lançait.

Je propose que le personnel infirmier fasse également preuve d’autocompassion.

Certains parlent d’usure de compassion, d’autres d’épuisement professionnel. Peu importe. Pour une infirmière qui est de garde, qui répond constamment à l’appel et qui s’est adaptée à une situation en constante évolution, le tourbillon est impossible à suivre. La sollicitude devient dévorante et peut entraîner des conséquences malsaines, quelle que soit la résilience que l’on pense avoir.

Quand les cœurs bienveillants se lassent

Le phénomène n’est pas nouveau; je l’ai déjà vécu au cours de mes 44 ans de carrière. Lorsque les normes de pratique chères au personnel infirmier se heurtent à de lourdes charges de travail et à la souffrance des patients, il est normal que les cœurs bienveillants se lassent. La COVID a ajouté une pression énorme à cette blessure déjà chronique. L’enjeu dépasse les frontières du Canada; partout dans le monde, le personnel infirmier l’a ressenti.

L’usure de compassion est un état que connaissent les familles et le personnel soignant. Elle guette ceux qui font preuve de sollicitude envers les autres sans jamais s’arrêter pour s’occuper d’eux-mêmes. La sollicitude envers les autres fait appel à des aspects physiques, intellectuels et relationnels de nous mêmes, plus encore dans certains domaines en raison des soins fournis, comme celui des soins palliatifs.

La mort ne se présente pas toujours d’une façon reluisante. Rarement linéaire et souvent cahoteux, le parcours peut être enlisant et désordonné, et se moquer de la beauté que recèle le processus. On est sans cesse témoin de la vulnérabilité qui gagne la personne, alors que celle-ci perd son apparence, ses fonctions et ses capacités, et qu’elle doit constamment, tout au long de ce chemin sinueux, redéfinir en quoi consiste pour elle la « qualité de vie ». Reconnaître les flux et reflux des derniers instants et y répondre, comme le ferait une sage-femme pour mourants, est à la fois gratifiant et épuisant.

Liste de contrôle des symptômes annonçant une usure de compassion

Dans le cadre de mon auto évaluation, j’emploie cette liste mentale de certains symptômes :

  • Changements physiques, comme la fatigue, l’épuisement, l’insomnie, les douleurs musculaires, les épisodes de maladie, la perte ou le gain pondéral;
  • Pensées de type cynique ou désillusion face à un système inadéquat, difficulté à se concentrer ou intellectualisation d’une situation sans tenir compte du ressenti humain;
  • Anxiété, nervosité, irritabilité, colère, sentiments de dépression, d’impuissance ou de culpabilité et sautes d’humeur;
  • Changements comportementaux, tels que le retrait social, la difficulté à établir des relations avec les autres;
  • Perte de foi ou d’espoir.

Les années passées à vivre et à travailler en contexte de pandémie de COVID ont eu un effet cumulatif, si bien que cette liste de contrôle a résonné en moi plus que je ne voulais l’admettre. J’ai observé d’autres symptômes chez des personnes que je chérissais : une consommation accrue d’alcool, de médicaments en vente libre ou sur ordonnance, ou encore de substances illicites pour arriver à composer avec la situation.

Que faire?

Notre gardien intérieur nous dit de mettre d’abord notre masque à oxygène avant de l’appliquer sur les autres. C’est ce qu’on appelle prendre soin de soi avant de prendre soin des autres. Certains suggèrent de développer la résilience afin de pouvoir rebondir face à l’adversité. Je propose que le personnel infirmier fasse également preuve d’autocompassion.

Je pense à ce qui m’a aidée à rester concentrée dans le passé :

  • Je prends de profondes respirations, et une nouvelle conscience fait surface; elle me signale généralement les besoins de mon corps, qu’ils soient de nature physique, mentale, émotionnelle ou spirituelle.
  • Je reconnais que je suis humaine aussi, et que la perte et le deuil font partie du tourbillon qui existe dans les soins infirmiers, tourbillon que je ne peux contrôler pour mes patients et leur famille ou pour la situation dans laquelle ils se trouvent, mais que je peux contrôler pour moi même.
  • Je reste centrée sur les patients et les familles qui sont sous ma garde cette journée là, puis je me concentre sur le système dans lequel je travaille, au sein duquel il m’incombe de m’exprimer pour éliminer les obstacles qui m’empêchent de demeurer axée sur les principes de soins.
  • Je fais le deuil des pertes, humaines et autres, dans le cadre de mon processus de guérison. Je reconnais que je fais de mon mieux, souvent dans une situation imparfaite. Je recadre les événements en pensant aux sourires et aux mots de remerciement qu’ont suscités mes plus petites et mes plus grandes interventions. J’exprime ma gratitude à ceux dont le soutien a permis au personnel infirmier de traverser des situations difficiles.
  • Je parle aux autres. Tout comme un deuil, un stress exprimé à un collègue de confiance est un stress atténué. Ceux qui nous entourent peuvent nous éclairer sur différentes façons de composer avec la situation.
  • J’apprends des autres. Récemment, une collègue infirmière, Perry m’a dit exactement ce que j’avais besoin d’entendre pour ma première affectation auprès d’un patient qui recevrait l’aide médicale à mourir (AMM) ce jour là : « Ça prend du cran pour exercer la profession infirmière ». J’ai tout de suite su ce que je devais faire. Ce jour-là, le courage m’ouvrirait la voie. Le reste, soit la compassion, les compétences et les connaissances qui s’y rattachent, viendrait pro re nata (selon les besoins).
  • J’apprends des patients qui m’ont transmis leur sagesse et qui ont fait de moi une meilleure personne, une meilleure infirmière. Un homme aux nombreux handicaps qui limitent son espérance de vie m’a transmis ce mantra : « Faire de son mieux avec les ressources dont on dispose. »
  • Parfois, j’ose refuser « juste un quart de plus », avant de devenir moi aussi le patient. On ne devrait pas attendre qu’une crise se produise pour faire preuve d’autocompassion. Une pratique régulière à cet effet est essentielle.

L’autoguérison est un processus graduel

Le chemin de retour est différent pour chacun d’entre nous. Pour moi, il s’est manifesté par petites doses cette fois ci, et non par un « rebondissement », comme le veut le principe de résilience. J’ai trouvé le repos là où mes yeux avaient besoin de se fermer. J’ai trouvé l’émerveillement lorsque trois hérons ont frôlé côte à côte la crête des vagues écumeuses, leurs ailes déployées en parfait alignement, le soleil rougeoyant explosant derrière eux, alors qu’il tirait sa révérence sur une autre magnifique journée. J’ai trouvé la paix dans la chapelle ouverte près de l’océan, avec en arrière plan le chœur des oiseaux et des vagues qui me berçait. J’ai trouvé l’espoir et la joie, mes derniers besoins avant de voir mon bien être renouvelé, parmi les enfants heureux qui barbotaient autour de moi.

Une autre infirmière se prélasse au bord de la piscine aujourd’hui; elle vient d’arriver de Toronto. Il fait bon échanger sur ce qui nous amène ici. Sa vocation s’est manifestée sur le tard, et elle s’occupe aujourd’hui de personnes âgées, un rôle devenu colossal en raison de la COVID. Nous concluons notre conversation en convenant que souvent, ce qui compte pour le patient est plutôt la bienveillance que les médicaments que nous lui administrons. Bien qu’elle parle d’amour pour ce qu’elle fait, je remarque la fatigue dans ses yeux de biche. Repose toi ici, chère collègue. Prends soin de toi d’abord.

Demain, nous retournons à la maison. Me porterai-je mieux? Je serai mieux qu’à mon arrivée, mais j’aurai besoin de me maintenir constamment.

Je reviendrai en meilleure forme pour répondre à l’appel des autres, mais d’abord, je dois m’afficher un message dans un endroit visible, de façon à ne plus jamais l’oublier : « Pour fournir des soins, il faut apprendre à se les offrir ».


Terry Webber, inf. aut., B. Sc. inf. psychiatrie, fait partie de l’équipe volante qui fournit des soins de fin de vie aux patients à domicile. Elle travaille à Evergreen Nursing Services, qui est associé à la Vancouver Coastal Health Authority, en Colombie Britannique. Elle est une ancienne infirmière psychiatrique autorisée et infirmière certifiée par l’AIIC en soins palliatifs. Terry Webber est aussi récipiendaire du prix d’excellence de 2014 en pratique infirmière clinique du College of Registered Nurses of British Columbia.


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