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Des soins infirmiers communautaires aux politiques de santé mondiale : la brillante carrière de Judith Sullivan

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2019/05/27/from-community-nursing-to-global-health-policy-jud
mai 27, 2019, Par: Laura Eggertson
Judith (right) with Médecins Sans Frontières (left)
Judith (à d.) en 2015 avec un infirmier dans un dispensaire en Guinée-Bissau en Afrique occidentale, alors qu’elle travaillait pour Médecins Sans Frontières.

La transformation de Judith Sullivan, infirmière de première ligne en santé communautaire, en consultante internationale en matière de ressources humaines en santé a débuté dès sa première affectation dans un pays d’une pauvreté désespérante déchiré par les conflits.

En 1979, après avoir obtenu son baccalauréat en sciences infirmières de l’Université de Toronto, Mme Sullivan a travaillé pour l’organisation non gouvernementale CUSO International. Inspirée par une année de voyage en Amérique latine après ses études, elle a posé sa candidature pour un poste d’infirmière à l’étranger, car le fardeau des maladies dues à des problèmes de santé évitables lui sautait aux yeux et elle voulait aider.

Son premier poste était en Colombie. Elle est restée six ans dans ce pays alors en proie à un conflit armé de guérilla entre de multiples factions, conflit qui ne se terminerait qu’en 2016 avec la signature d’un accord de paix. C’est là que Mme Sullivan a perfectionné ses compétences d’infirmière et d’enseignante, travaillant aux côtés de religieuses comme éducatrice en soins infirmiers et dans un hôpital « difficile et sale » où elle coordonnait les soins primaires. Elle y a noué des amitiés durables et en est sortie profondément convaincue de la primauté des soins de santé en tant que droit de la personne.

« Les religieuses insistaient sur un point qui coïncidait complètement avec notre conception des soins infirmiers comme droit de la personne : les patients sont sacrés et nous avons le devoir de les soigner », souligne Mme Sullivan.

Son expérience en Colombie lui a toutefois appris autre chose : se soucier des droits de la personne et les respecter ne suffit pas pour répondre aux besoins en matière de soins de santé d’une population en difficulté. Mme Sullivan se souvient en particulier d’un patient, victime d’un acte de violence éthylique et gratuit, et qui avait besoin d’une colostomie de toute urgence. Le médecin et le personnel infirmier pouvaient opérer, mais ils n’avaient pas de poches de colostomie. Mme Sullivan et son équipe avaient beau remuer ciel et terre pour trouver du matériel, rien ne marchait.

« Le patient a fini par être envoyé dans un autre hôpital à Bogota, mais je présume qu’il est mort faute du matériel nécessaire, regrette Mme Sullivan. C’est typique de ce qui se passait chaque semaine : des tragédies face auxquelles nous étions impuissants faute de matériel. Le manque d’investissements dans la santé touchait l’ensemble du pays. »

Les années formatives de Mme Sullivan en Colombie, combinées à ses quatre années en poste au Pérou avec CECI Canada, l’ont convaincue de se préparer pour un large éventail de défis en santé. Après avoir obtenu sa maîtrise en administration de la santé à l’Université Peruana Cayetano Heredia au Pérou, elle a suivi une formation spécialisée en santé génésique et en gestion de programmes pour le VIH/sida. Mme Sullivan a aussi obtenu un diplôme de leadership, c’est-à-dire en gestion des ressources humaines, et un autre en soins infirmiers en région tropicale de l’École de médecine tropicale de Liverpool (R.-U.).

Même si ces cours avaient préparé Mme Sullivan pour les problèmes de santé qu’elle a rencontrés, peu de choses auraient pu la préparer pour ses rencontres avec les guérilleros. En Colombie, elle a dû dissoudre sur le champ une réunion régionale des comités de santé locaux quand un groupe de guérilleros cagoulés du mouvement M-19 (Mouvement du 19 avril) dirigé par des étudiants a fait irruption et envahi l’estrade en scandant des slogans.

« À ma grande surprise, toutes les femmes les ont applaudis, raconte Mme Sullivan. Les guérilleros étaient étonnamment amicaux. Mais c’était une époque dangereuse, et j’ai dû être très prudente pour éviter d’autres contacts par la suite. »

Une guérilla d’une tout autre envergure attendait Mme Sullivan et son mari, John, lorsqu’ils ont déménagé à Lima, au Pérou. Les terroristes du Sentier lumineux étaient connus pour leur grande violence, et la ville était en état de siège à cause de leur campagne d’explosions et de meurtres. En tant que directeur d’Aide à l’enfance Canada au Pérou, le mari de Mme Sullivan a vu sa sécurité menacée pendant qu’il voyageait à travers le pays, et elle-même a dû quitter des communautés où elle organisait des campagnes de vaccination et de soins de santé primaire, car elle craignait des attaques du Sentier lumineux.

« C’était vraiment dangereux dans ces communautés; c’était une période difficile », se remémore-t-elle.

La violence au Pérou a fini par amener les Sullivan à chercher de nouvelles fonctions, au Brésil cette fois. C’est là que Mme Sullivan a obtenu ses premiers contrats et missions de consultante avec l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et l’Organisation mondiale de la santé. Pendant le reste de ses quelque 40 années de carrière, elle s’est davantage intéressée aux politiques de santé, convaincue qu’à titre de leader dans cette sphère, elle pourrait contribuer davantage à l’amélioration des résultats pour la santé.

Dans ses fonctions de conseillère et de consultante, Mme Sullivan s’est attaquée à des questions touchant les systèmes de santé : la nécessité d’un financement gouvernemental intégral, les pièges du financement international et l’importance des soins de santé primaire. Elle a travaillé en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, où elle évaluait des programmes et leurs résultats, planifiait des soins pour les personnes atteintes de paludisme et des soins pédiatriques et conseillait des gouvernements sur les meilleures façons de déployer leurs ressources humaines pour obtenir de meilleurs résultats pour la santé.

Ce dont Mme Sullivan est la plus fière est d’avoir poussé, avec succès, pour un recensement des ressources humaines en santé, ce qui a mené à une augmentation du personnel infirmier en Argentine, au Paraguay, en Uruguay et au Chili. Un passage de quatre ans à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada comme directrice du développement international lui a enseigné les avantages, en termes de coûts et de résultats pour la santé, d’embaucher plus d’infirmières et d’infirmiers.

Canadian nurses (from L to R) Jane MacDonald, Jean Garsonnin, Judith Sullivan and Debbie Grisdale
Les infirmières canadiennes (de g. à d.) Jane MacDonald, Jean Garsonnin, Judith Sullivan et Debbie Grisdale se sont rencontrées en Colombie en 1979. En plus de devenir amies à vie, elles ont chacune mené une brillante carrière en soins infirmiers.

« Je suis vraiment devenue le porte-étendard de la profession, glisse Mme Sullivan. Il me semblait qu’il était extrêmement important d’augmenter les effectifs infirmiers dans des pays où la surabondance de médecins ne rimait à rien. On m’a accusée de diffamation à plusieurs reprises pour avoir défendu la profession infirmière… Mais j’ai fait jouer mon sens de la diplomatie autant que possible. »

Pendant sa carrière, Mme Sullivan élevait également ses deux enfants, Patrick and Carla, en coordonnant les dates de ses voyages avec celles de John. Aujourd’hui, sa famille est un « soutien immense » alors qu’elle est aux prises avec un cancer des ovaires qui lui a fait abréger son travail en Guinée-Bissau, en Afrique occidentale, où elle planifiait les efforts de prévention du paludisme pour Médecins Sans Frontières.

Le conseil de Mme Sullivan aux infirmières et infirmiers qui s’intéressent aux enjeux de santé mondiale est d’acquérir de l’expérience dans le domaine des politiques et de perfectionner leurs compétences analytiques pour mieux préparer des mémoires et des plaidoyers. Compte tenu des dizaines de millions de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire chaque année, note-t-elle, c’est là que se concentrera le travail infirmier sur la scène internationale.

« La migration, la traite des personnes, les camps gigantesques où le fardeau des maladies est complexe, les épidémies et les catastrophes naturelles font que les ressources humaines en santé doivent être à la fois compétentes et très mobiles », estime-t-elle.

Note de la rédaction : Judith Sullivan est décédée plus tôt ce mois-ci au terme d’une longue maladie. Elle manquera profondément à sa famille, ses amis et ses collègues.


Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville (N.-É.).

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