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Déontologie : la fin de vie – Deuxième partie

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2015/10/03/ethics-in-practice-at-end-of-life-part-2

Croissance professionnelle : les enjeux et les possibilités pour ceux qui fournissent des soins de fin de vie

oct. 03, 2015, Par: Janet Storch, inf. aut., B.Sc.inf., MHSA, Ph.D., D.Sc. (Hon., Ryerson), LLD (Hon., UWO)

Voici le second article de notre série en trois parties sur les enjeux déontologiques de la fin de vie et leurs implications pour le personnel infirmier. Le premier article était centré sur une personne capable à l’approche d’une mort naturelle. Dans la deuxième partie, je présente deux scénarios où la personne est manifestement incapable. Il est important de noter que la décision Carter sur l’aide médicale à mourir, axée sur les adultes compétents, n’a aucune incidence sur l’un et l’autre de ces scénarios. Dans le premier, la famille veut que l’on continue les soins à un proche en maintenant ses fonctions vitales. Dans le second, la famille veut que l’on arrête certaines mesures.

En cause : prendre des mesures pour maintenir la personne en vie

Abdul, un homme dans la cinquantaine avancée inopinément tombé dans le coma à la suite d’une opération au cerveau, avait été placé sous assistance respiratoire. Arrivés à la conclusion qu’il ne se remettrait jamais, ses docteurs avaient conseillé que le ventilateur et la sonde d’alimentation qui le maintenaient en vie soient retirés. Mue par ses croyances religieuses, sa femme avait sollicité une injonction pour empêcher les médecins de le débrancher. Abdul n’avait pas fourni de directive préalable; on n’avait pas d’indication écrite de ses volontés.

Résumé des aspects juridiques et déontologiques

Les médecins d’Abdul considéraient qu’il ne convenait pas de poursuivre son traitement, car il n’y avait aucun espoir qu’il sorte de son état végétatif persistant. Les médecins traitants étaient par ailleurs d’avis que si le tribunal se rendait à la demande de la famille, ils seraient obligés d’agir à l’encontre de leurs obligations professionnelles et déontologiques de ne causer aucun préjudice en maintenant dans un état de mort vivant un homme en vie d’un point de vue biologique. Ils ont fait valoir que le traitement s’apparentait à de la torture, car une utilisation prolongée des équipements de maintien artificiel des fonctions vitales amène des souffrances considérables, toutes d’origines médicales (Schafer, 2013). Les infirmières et infirmiers d’Abdul, qui le soignaient pendant des quarts de 8 à 12 heures, se trouvaient eux aussi dans une situation délicate.

Infirmières et infirmiers sont parfois témoins de traitements visant à prolonger la vie qui leur paraissent fondamentalement injustifiables, mais ils n’ont pas le sentiment de pouvoir changer la situation. Il peut leur sembler que leur voix n’est pas entendue. Il leur arrive alors souvent d’éprouver une détresse morale et un conflit de conscience qui peuvent les amener à demander à leur employeur la permission de s’abstenir de fournir des soins, pour objection de conscience, la pratique ou la procédure en question étant contraire à leurs croyances morales ou religieuses. (AIIC, 2008, p. 27). On trouve dans le Code de déontologie des infirmières et infirmiers de l’AIIC des lignes directrices pour faire ce type de demande (2008, p. 43-46). Le code précise en outre que l’objection ne devrait pas être fondée sur des préjugés, des peurs ou des préférences (2008, p. 45).

Dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général) (2015) sur l’aide médicale à mourir, ce conflit de conscience a été reconnu. Dans son jugement, la Cour suprême du Canada a noté que rien dans la modification de la loi ne « contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir » et que leur participation à cette aide relève de leur conscience et, dans certains cas, de leurs croyances religieuses (art. 132). Cette reconnaissance est importante pour tous les fournisseurs de soins de santé et leur droit de suivre leur conscience.

Le scénario d’Abdul repose sur l’affaire Cuthbertson c. Rasouli (Schafer, 2013) en Ontario, dans laquelle la Cour suprême du Canada a déterminé que des décideurs de substitution doivent avoir leur mot à dire sur le retrait du traitement de maintien de la vie et qu’à l’avenir, dans les cas similaires, la décision devrait, dans cette province, être laissée à la Commission du consentement et de la capacité (CCC). La Cour suprême a insisté sur le fait que cette décision porte spécifiquement sur ce qu’autorise la Loi sur le consentement aux soins de santé. Ailleurs au Canada, ce type de commission n’existant pas, les conflits doivent se régler devant les tribunaux.

L’affaire Rasouli nous rappelle l’important rôle de la famille dans les soins aux patients. D’après le code de déontologie, nous devons travailler avec les familles « afin de tenir compte de leurs croyances spirituelles, de leurs valeurs et de leurs coutumes propres, ainsi que de leur situation sociale et économique » (AIIC, 2008, p. 13). C’est en reconnaissant la valeur intrinsèque de chacun que le personnel infirmier peut soutenir les familles et communiquer avec elles, même en cas de désaccord. En même temps, le personnel infirmier doit défendre les droits des personnes dont il prend soin, s’il pense que la santé de ces personnes est compromise par les décisions d’autrui (AIIC, 2008, p. 11).

Ce que peut faire le personnel infirmier

Parler des enjeux en fin de vie met parfois les patients et les familles mal à l’aise, mais on peut favoriser un dialogue constructif en optant pour un langage neutre. Certains mots comportant une forte charge émotionnelle, par exemple, ne sont pas propices à une discussion rationnelle. Ainsi, au lieu de qualifier une poursuite du traitement d’Abdul de futile – mot qui implique qu’Abdul lui-même ne sert plus à rien – le personnel infirmier peut parler plutôt de la pertinence des soins, ce qui est plus objectif et tient compte de l’intérêt supérieur du patient.

Infirmières et infirmiers ont le devoir de préconiser « des ressources qui appuient les patients et leur famille dans le choix d’un environnement privilégié pour un décès paisible et en toute dignité » (AIIC, Association canadienne des soins palliatifs, Groupe d’intérêt des infirmières et infirmiers en soins palliatifs canadiens, 2015). Par ailleurs, ils peuvent choisir de préconiser de meilleurs mécanismes de prise de décision, similaires à ceux de la CCC en Ontario, dans les autres provinces et territoires ou de promouvoir le rôle des comités de déontologie dans les établissements où ils travaillent.

En cause : administrer des aliments et des liquides

Monika, 82 ans, était en maison de repos, dans un état presque végétatif. Pendant des années, elle avait été infirmière et avait soigné des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Avant que cette maladie ne soit diagnostiquée chez elle, elle avait stipulé par écrit dans une directive préalable qu’on la laisse mourir si elle devait un jour être atteinte de démence avancée. Pourtant, le personnel infirmier et les aides-soignants de la maison de repos avaient reçu l’ordre de continuer à lui donner à manger et à boire, considérant que le contraire reviendrait à de la maltraitance. Aux protestations de sa fille, la direction de l’établissement avait répondu que Monika ouvrait la bouche quand on la nourrissait, signe qu’elle voulait manger, estimait-on, rejetant l’idée qu’il puisse s’agir d’un réflexe. La fille de Monika avait intenté une poursuite, faisant valoir que continuer à la nourrir était un acte de violence.

Résumé des aspects juridiques et déontologiques

Ce scénario repose sur des aspects de l’affaire Bentley v. Maplewood Seniors Care Society de la Cour suprême de Colombie-Britannique, sans en refléter toute la complexité. L’un des nombreux enjeux problématiques dans cette affaire est que les instructions de Mme Bentley concernant ses soins étaient brouillées par diverses déclarations ambiguës, non conformes aux exigences formelles pour les directives préalables dans cette province (Rule, 2014).

Les directives préalables, des déclarations écrites concernant les décisions à prendre et la façon de le faire si la personne devenait incapable de prendre des décisions elle-même (AIIC, 2008, p. 24), relèvent des compétences provinciales ou territoriales, et ces documents ne sont pas toujours considérés et utilisés de la même façon (Godkin, 2008). Infirmières et infirmiers doivent être au courant des lois qui gouvernent les directives préalables, l’évaluation de la capacité et la prise de décision par autrui dans leur province ou territoire. Ils doivent également être au courant des politiques connexes de leur milieu de travail et des normes de pratique conçues par leur organisme de réglementation provincial ou territorial.

Ce que peut faire le personnel infirmier

Les directives préalables sont certes importantes, mais on insiste trop sur la création de documents et pas assez sur l’amélioration des communications entre les patients, leurs proches et le personnel soignant (Piemonte et Hermer, 2013). Une directive préalable formelle n’est que l’un des aspects des communications et de la planification nécessaires pour aider les gens à préparer leur mort. Si les proches des mourants ont participé à ces conversations, l’interprétation risque beaucoup moins de poser problème. Cela facilite le passage à la mort, rend les gens plus à l’aise et allège le fardeau du mandataire quant aux soins (Sénat du Canada, 2000).

Le personnel infirmier peut jouer un rôle capital en encourageant les patients en fin de vie à communiquer clairement leurs volontés. Outre les directives préalables, une discussion franche et une écoute attentive sont également importantes et peuvent éviter l’ambiguïté pour tous.

Les scénarios qui seront présentés dans la dernière partie de notre série (dans le numéro de novembre 2015) mettront en lumière la question de l’aide médicale à mourir et de ses implications pour le personnel infirmier.

Remerciements

L’auteure remercie Laurie Sourani, B.A., LL.B., analyste des politiques à l’AIIC, pour son aide lors de la préparation de cet article.

Références

Association des infirmières et des infirmiers du Canada. Code de déontologie pour les infirmières et les infirmiers, Ottawa, AIIC, 2008.

Association des infirmières et des infirmiers du Canada, Association canadienne des soins palliatifs et Groupe d’intérêt des infirmières et infirmiers de l’Associaion canadienne des soins palliatifs. L’approche palliative des soins et le rôle des infirmières [Énoncé de position commune], 2015, consulté à https://hl-prod-ca-oc-download.s3-ca-central-1.amazonaws.com/CNA/9ef06977-db41-454b-9e4c-2f6b1f15dcda/UploadedImages/Documents/Lapproche_palliative_des_soins_et_role_des_infirmieres_f.pdf

Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5.

Godkin, M. D. Living will, living well: Reflections on preparing an advance directive, Edmonton, University of Alberta Press, 2008.

Piemonte, N. M., et Hermer, L. « Avoiding a “death panel” redux », Hastings Center Report, 43(3), 2013, p. 20-28.

Rule, S. Bentley v. Maplewood Seniors Care Society [billet de blogue], 6 avril 2014, consulté à http://rulelaw.blogspot.ca/2014/04/bentley-v-maplewood-seniors-care-society.html

Schafer, A. « Right-to-die ruling: Win for families, loss for common decency », Globe and Mail, 18 octobre 2013, consulté à http://www.theglobeandmail.com/globe-debate/right-to-die-ruling-a-win-for-families-a-loss-for-common-decency/article14933896

Sénat du Canada. Des soins de fin de vie de qualité : chaque Canadien et Canadienne y a droit, Sous-comité de mise à jour de « De la vie et de la mort », 2000,consulté à http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/362/upda/rep/repfinjun00-f.htm#5.%20Directives%20pr%C3%A9alables


Janet Storch, inf. aut., B.Sc.inf., MHSA, Ph.D., D.Sc. (Hon., Ryerson), LLD (Hon., UWO), est professeur émérite de l’école de sciences infirmières à l’Université de Victoria.

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